Voleurs d’ombre 17

Il ne pouvait être plus seul qu’en cet instant finalement. Plongé à la fois dans un océan furieux, dans une pièce gigantesque, pleine du vide de vies qui ne le touchaient pas et dans les bras d’un fantôme. Pourtant, il se sentait plus vivant désormais que dans n’importe laquelle de ses relations. Il avait toujours dû faire attention à ce qu’il disait, à ce qu’il faisait.

Toutes ses relations lui avaient appris à rester sur ses gardes. Il ne s’était jamais senti libre d’être celui qu’il était vraiment. On lui avait dit et répété qu’il fallait qu’il soit lui-même et pourtant, ce qu’il était, ne recevait que reproches, crises, ruptures. Alors, avec le temps, il comprit qu’il devait être ce que l’autre voulait qu’il soit finalement.

Elles maintenaient qu’elles ne voulaient pas le changer pourtant, toutes avaient essayé de faire de lui, l’être idéal façonné selon leur goût, leur projection, leurs envies. Son humour ne plaisait pas, il se taisait. Son détachement sur les choses et les gens désespéraient, alors, il faisait attention à toutes ses interventions.

Son désir n’était jamais approprié, alors il le contenait et gardait pour lui toutes ses envies. Forcément, à ne pas se sentir aimé, à ne pas pouvoir être libre, à se sentir engoncé dans des principes qui, en plus, n’étaient jamais les siens, il dérapait. Il acceptait les ordres, les demandes, les insistances qu’elles nommaient « conseils » et il essayait d’y répondre mais il était contraint.

Il ne vivait pas ce qu’il voulait vivre. Il vivait ce que l’autre lui imposait. Forcément, chaque remarque devenait une attaque personnelle et chaque mot prenait un poids, sans doute, surévalué mais, à force de chercher à plaire, à ne pas être abandonné, il prenait tout à cœur. En réalité, il ressentait que pour l’autre, rien n’était jamais léger. Tout était lourd, important, urgent et rien ne pouvait être considéré comme anodin comme si on attendait de lui une excellence permanente, alors qu’il ne voulait qu’être lui-même. Il savait désormais que tous ses échecs venaient de cette propension qu’il avait de toujours trouver la personne qui promettait de l’aimer pour ce qu’il était et qui s’empressait de vouloir impérativement le changer.

C’est peut-être pour cela qu’il se sentait bien, en cet instant. La tempête ne lui demandait rien. Elle faisait ce qu’elle voulait de lui et, comme il l’avait vécu toute sa vie, il laissait cette force supérieure le diriger. Les personnes dans la salle qui vivaient en tous sens, tout autour de lui, ne lui demandaient rien. Elles vivaient leur propre vie qui ne semblait pas avoir de consistance mais en tout cas, elles ne le concernaient pas. Chacun faisait son chemin et il n’était obligé de s’impliquer dans des vies qui ne voulaient pas de lui ou de modifier son propre être pour des lubies et des principes.

La femme aux yeux verts l’embrassait sans rien demander, sans rien imposer, sans rien exiger. Il ne connaissait pas cette sensation de liberté totale. Là, ici, en cet instant, il ne devait rien à personne. Ni à la nature, ni aux hommes, ni à la femme qu’il rêvait d’aimer et qui l’embrassait avant de disparaître.

Il lui fallait reprendre sa route. Traverser cette pièce, sortir du tourbillon, rompre le baiser et essayer de trouver dans cette mer et dans cette nuit sombre quelle étoile était celle qui était partie et, peut-être même, toutes les autres parce qu’il ne pouvait se résoudre à tuer ses sentiments. Il ne savait pas comment elles réussissaient à faire comme si rien n’avait existé, comme si le lien n’avait jamais existé, comment elles pouvaient passer de l’autre côté du mur sans voir ce qui se brisait, ce qui mourrait, ce qui allait disparaître à tout jamais.

Il se raisonna, il savait que ce qu’il ressentait n’était pas partagé mais il n’arrivait pas, en fait, à comprendre comment cette idée n’était pas partagée. Il ne comprenait pas ce mensonge, il ne s’était jamais résolu à le comprendre finalement. Il en allait ainsi de sa vie, entre faux baiser, tempête et le sentiment de n’être rien au milieu de l’immensité.

Il était figé, au centre de la pièce, et les murs tournaient autour de lui. Tout était semblable, tout était différent. Il ne savait plus d’où il était arrivé ni où il devait aller. Il n’y avait plus de tempête, il n’y avait plus de baiser. Il était juste seul, au milieu d’une foule immense, dans une salle somptueuse d’un palais en ruine. Et ça valait tout l’or du monde et toutes les aventures de l’histoire.

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