Le son de la fanfare approchait. Une sorte de chant angélique descendu d’un univers céleste inconnu. Une sorte de mélopée jouée par des anges, écrite par des archanges, pour des instruments qui n’existent pas. Il restait la joue posée sur le bois rare de la table qui semblait banal mais qui, finalement, était une merveille de simplicité et de beauté qui touchaient directement l’âme. Il passa lentement la paume de sa main sur le plateau. Il était lisse, il était doux. Il jouissait de la musique et de l’opportunité qui lui était offerte, pour une fois, de la savourer pleinement. Elle le méritait. Certains plaisirs subsistent malgré tout, même lorsque les issues ressemblent à des impasses et les possibles à des chemins de traverse sans but ni fin.
Chaque centimètre de bois du plateau semblait avoir été travaillé avec soin et pendant des heures et pourtant, la table, dans son ensemble, paraissait sortie de terre d’un seul bloc. Au centre d’une pièce vide, sans autre meuble ou décoration, elle apparaissait comme une arche d’alliance, comme un radeau, comme la seule possibilité de survie, une île au milieu d’une tempête.
La musique se dirigeait clairement vers lui. Elle venait dans sa direction. L’orchestre semblait philharmonique tant les nuances de notes, de sons, de tonalités étaient nombreuses, diverses et pourtant harmonieuses. En tout cas, il y avait du monde à jouer et à participer au chant des anges. Il se dit qu’il devrait se lever. Soit aller à la rencontre de cette foule, soit se cacher. Il sentait confusément que tout cela représentait un danger pour lui, qu’il fallait sauver ce qui pouvait l’être de lui. Il n’était pas capable de se dire qu’il ne risquait rien face à une telle foule.
Il aurait fallu qu’il se lève et cherche à se cacher mais, finalement à quoi bon? Que pouvaient lui vouloir ces gens? Le tuer? Le torturer? Il se dit que cette souffrance à venir serait moins forte que celle qu’il vivait depuis quelques jours. Parfois, le degré de souffrance infligé par les autres cataclysmes semble minime ou même inexistant.
Il décida de ne pas bouger. Il s’imaginait chercher un coin pour se cacher mais où? Il fallait sortir et se mettre en danger. Tout cela valait il encore la peine de faire tant d’efforts? Le contact de sa joue sur la fraîcheur du bois, la sérénité qui se dégageait du lieu, le calme de cette masure, l’odeur humide et légère de la terre battue et l’obscurité réconfortante le rassuraient. Tout cela l’apaisait.
Il savait que de toute façon, il n’avait plus rien à gagner. Autant attendre. Peut être que la foule passerait à côté de la maison, sans entrer, sans le voir, sans même imaginer que quelqu’un puisse être là. Ce fut la solution qu’il voulut retenir. Ils passeraient à côté sans faire le moindre geste en sa direction. Ils n’avaient aucune raison de se soucier de cette maison et encore moins de lui.
La musique semblait venir du coin de la ruelle désormais et, manifestement, ils passeraient devant la maison. Il se dit qu’il devrait se poster non loin de la fenêtre, dans un angle, dans le noir, être sûr de ne pas être vu mais lui devrait voir le défilé, voir si les gens montraient du bonheur, de la joie, s’ils étaient heureux au milieu des ruines, voir à quoi ils pouvaient ressembler, deviner à travers le grain de la peau, la forme du visage, la couleur des yeux, la profondeur des rides, ce en quoi ils pouvaient bien croire et se représenter les endroits où ils pouvaient aller. Il aurait peut être voulu les connaitre et puis, en réalité, ça n’aurait rien changé.
Il se contenta d’ouvrir les yeux pour savourer la musique comme si les notes s’écrivaient dans les airs et comme s’il savait lire une partition. Il voyait les notes dans l’air et la beauté des murs et des bois travaillés. Il entendait une musique divine. Il sentait l’air frais emplir ses poumons et purifier son corps. Il touchait le plateau frais de la table. Chaque seconde durait des heures mais chaque heure construisait une part de bonheur. Il se sentait léger, complet, paisible.