Il poussa lentement la lourde porte. Elle grinça comme grincent toutes les portes dans les vieux films à suspense, mais de suspense, il n’y en avait aucun. Il savait qu’il trouverait une maison vide et un intérieur d’une rare beauté, malgré le temps, malgré les torrents de larmes, malgré son triste regard sur les choses, désormais.
Derrière lui, la lumière s’amusait à se frayer un passage pour couvrir, à nouveau, d’or, les murs de la demeure. Il sentait clairement qu’elle le poussait. Comme il l’avait décidé, il prit, quand même, son temps, observant chaque détail, chaque poussière, chaque parcelle de beauté qui l’entourait.
Il s’arrêta sur la poignée de la porte. Par habitude, il ne l’avait pas regardée. Cette simple serrure montrait des trésors d’ingénierie et d’esthétisme. Dans son ancien univers, elle aurait même pu finir dans un musée, tant le travail de l’artisan semblait inhumain. Une précision dans chaque détail digne du divin. C’est là qu’il comprit. Rien dans cette ruine n’était humain. Il passait tranquillement, paisiblement, d’un monde à l’autre, sans lutte, sans conflits. Il savait que tout n’était pas réglé mais plus rien de vital ne le retenait vraiment. Il pouvait partir, il en avait la possibilité et surtout, c’était le moment. Puisque plus rien ne le retenait, il ne servait à rien de se construire, artificiellement, des univers à sauvegarder, à protéger.
Il entra dans ce qu’il appela, intérieurement, sa dernière demeure. Il en sourit. Il avait toujours trouvé son humour noir particulièrement poétique. Il aurait aimé que cela l’aide à résister mais le rideau devait se baisser, même lorsque le spectacle continue. L’intérieur était sobre, même frugal. Juste une table et une chaise comme si le lieu l’attendait depuis toujours.
La pièce unique était sombre, austère. La terre battue du sol contrastait avec la beauté des marbres des grandes artères. Cette simplicité le toucha. Elle l’émut même. Il s’assit. Il se sentait submergé par une vague de fatigue, comme si le poids du monde venait de se poser sur ses épaules. Il était Atlas d’un monde en perdition. Son monde…
Il lova sa tête entre ses bras croisés, posés sur la table et sentit qu’il s’endormait. Il s’autorisa à fermer les yeux, assis, dans cette maison inconnue, au milieu d’une cité inconnue, dans un monde inconnu.
Soudain, il entendit une musique venir de loin et s’approcher. Une fanfare joyeuse et hystérique redonnait un souffle de vie. Il resta la tête posée sur la table mais les yeux ouverts. Il sourit. Tristement mais il sourit. La musique le rendait intérieurement euphorique mais il voulait encore savourer ce moment. La musique s’amplifiait, se rapprochait. Elle était même à quelques rues de lui.
Il ne bougea pas. Il ne voulait pas être trouvé. Il prit conscience, enfin, soudainement, que la musique n’était pas céleste. Forcément, elle venait de gens qui la diffusaient ou la produisaient. Des gens, des vies, des histoires… Des ombres.