Il avait des images plein la tête. Une sorte de réminiscence permanente et accélérée. Il revit ses histoires passées et aurait voulu imaginer des histoires futures. Penser qu’il pourrait à nouveau aimer et se relever de cette énième séparation mais aucune image ne venait.
Auparavant, il avait toujours réussi à se projeter avant même la fin des événements. Un coup d’avance pour ne pas tomber encore plus bas parce qu’à force de creuser sa propre tombe, on finit toujours par en faire son dernier monde. Cette fois, il avait voulu y croire et cette force là l’avait aveuglé et empêché de se protéger. C’était sa dernière chance et il le savait mais le problème des dernières chances, c’est qu’en réalité, elles ne dépendent pas de soi. Il était dépendant des règles, des dogmes, des principes. Prisonnier des caprices ou des raisons de l’autre
C’était sa dernière chance et il le savait mais le problème des dernières chances, c’est qu’en réalité, elles ne dépendent pas de soi. Il était le jouet des règles, des dogmes, des principes. Prisonnier des caprices ou des raisons de l’autre, il n’avait pas pu sortir de cette prison dorée. Elle était devenue la dirigeante exclusive de sentiments qu’elle ne partageait pas.
A force de se dire que l’atterrissage est plus violent que la chute, on oublie que la majorité des victimes meurt d’une crise cardiaque avant de toucher le sol. Les histoires de chute, c’est juste pour rassurer ceux qui ont déjà tout perdu ou qui n’ont jamais gagné. Un peu comme le principe de la roue qui tourne. Une roue, pour avancer, roule toujours dans le même sens, sinon elle recule et si tu recules, c’est difficile d’avancer vers le meilleur ou un ailleurs. Il y avait dans cette roue qui tourne vers des jours meilleurs une sorte d’inaccessible, d’impensé, d’improbable. Il voulait croire en une vie faite de tous les bonheurs que les autres n’ont pas et il finissait dans un palais de dorures en ruine au milieu d’un désert de souvenirs.
Il leva la tête parce qu’il se devait de rester droit, de rester digne. Il se promit de tenir, de s’accrocher pour profiter de tout ce décorum féerique le plus longtemps possible et le moment venu de se laisser glisser ailleurs. Il ne sentait plus la faim ni la soif pourtant, il ressentait clairement que plusieurs jours passèrent sans qu’il n’ingéra quoique ce soit. Il était passé dans ce moment où les besoins premiers n’existent même plus, où seul le repos de l’âme devient nécessaire. Il voyait les balcons des maisons et il se dit que même si cela s’était déjà vu, ça aurait été un bel endroit pour dire son amour. Et même sans avoir d’amour, c’était un bel endroit pour se dire que ça valait la peine de finir là.
Chaque avenue large, ouverte, lumineuse et bordée d’arbres détruits par les flots donnait sur des dédales de ruelles sombres et étroites. Tout était paisible, calme, simple. Il décida d’emprunter une de ces traverses. Après tout, le temps ne lui était plus compté et seule sa propre volonté de poursuivre le chemin représentait une urgence. Il y avait des quartiers entiers de maisons et de constructions. Chacune d’entre elles offrait un nouveau monde et une nouvelle merveille d’architecture, d’orfèvrerie et de verrerie. Chaque mur, chaque fenêtre, la moindre huisserie, le moindre crochet semblait venir tout droit d’un atelier divin. Tout paressait magique, tout semblait irréel, tout était parfait mais de cette perfection qui en devient inquiétante tant elle est inhumaine.
Il n’y avait pas le moindre bruit. Seul le vent dans une embrasure de porte en bois rare et sculpté lui fit tourner la tête vers une demeure semblable aux autres. Elle n’était ni plus banale ni plus belle que sa voisine. La seule chose qui le dérangeait vraiment en cet instant, c’était de savoir qu’il était seul, que personne nulle part ne penserait à lui en cet instant ni à un autre d’ailleurs. Il aurait aimé pouvoir partir en se sachant accompagné, soutenu, guidé. Il aurait aimé mais il avait joué tous ses jetons sur le même numéro et il n’était jamais sorti.
Il se dirigea lentement vers cette maison qui semblait l’appeler. Il avait tout son temps et elle aussi. Il profita de la pureté de l’air et prit conscience qu’il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas empli ses poumons de cette façon. Pleine, entière, complète, comme si, enfin, il était à nouveau autorisé à respirer même si ça n’était qu’une illusion.