Voleur d’ombres 6

Il arriva sur de larges avenues qui, malgré les débris qui jonchaient le sol de part et d’autre, restaient boisées et lumineuses. Déjà, pourtant, entre les pavés de marbre ciselé, apparaissaient quelques touffes d’herbes folles ou de pissenlits en fleurs. L’eau avait, comme à son habitude, causé des dégâts énormes et particulièrement visibles. Des murs s’étaient effondrés, des vitres avaient explosé, des dalles de marbre, des planches de chênes ou d’ormes furent soulevées par le déferlement et la succession des vagues salées.

Pour une fois, il avait conscience d’être seul au monde. Pour une fois, l’univers tournait autour de lui. Il était le chainon manquant, la clé de voute d’un univers qui s’effondrait. Longtemps, il s’était vu et avait vécu comme un clandestin dans la vie des autres. Il se sentait de passage partout jusqu’à maintenant, ne semblant jamais marquer la vie des autres, la vie des vrais gens.

Ses histoires d’amour s’étaient toujours soldées par de pitoyables échecs. Son premier amour était parti, du jour au lendemain, ailleurs, sans laissé d’adresse et encore moins de raison. Son second et son troisième, forcément il avait cumulé les déceptions parce que quand les choses ne durent pas, elles sont plus souvent reproduites, l’avaient quitté pour retourner avec un ancien amour perdu. Ces histoires n’avaient pas duré et pourtant elles n’étaient pas revenues vers lui. Peut être même qu’il aurait pardonné parce qu’il faisait partie de ces gens qui donnait à l’amour, une place au-delà des règles et de la raison. Il vouait à l’amour une sorte de culte. Il aimait aimer mais il savait désormais le prix de cet amour alors il reculait toujours au plus cette échéance.

Souvent, quand les histoires prenaient un tour qu’il ne contrôlait plus, il préférait abandonner et cette fois, il savait qu’il était coupable. Il avait pardonné mais il savait qu’il ne le serait pas à son tour. Les crimes ne pouvaient se comparer puisque de toute façon les sentiments n’étaient pas les mêmes. Il s’était senti trahi, humilié, un nombre de fois qu’il ne pouvait plus calculer mais lui savait qu’il ne pouvait pas jouer à ce jeu. La moindre erreur serait synonyme d’échafaud et plusieurs fois déjà il mourut.

Aujourd’hui, il se savait condamné. Plusieurs fois, donc, il s’était relevé d’échecs qu’il pensait rédhibitoires et définitifs mais cette fois, il avait atteint le palais en ruine. Jusqu’alors, il n’y avait pas eu de torrents, de nuages. Seulement une forme lointaine à l’horizon et qui restait à jamais inatteignable. Cette fois, il entrait dans le cœur même de sa souffrance, dans le plus profond de tout ce qu’il avait enfoui depuis si longtemps. Il savait qu’au milieu des dorures et des merveilles, il sortirait, à un moment ou un autre, d’un endroit ou d’un autre, une noirceur profonde, austère, âpre. Il connaissait l’issue, parce que malgré tout, elle était toujours la même mais cette fois, forcément, il irait plus loin et il irait de bon cœur.

Il avait toujours refusé de voir l’envers du décor, l’autre côté du mur, l’autre face du monde mais désormais, il savait que le moment était venu, c’était là, maintenant et ici.

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