Elle se disait qu’en restant encore à subir cette souffrance, à supporter l’indicible, le jour viendrait la sauver et lui redonnerait la confiance qu’il avait détruite. Elle se raccrochait à des signes qui n’existaient pas mais qu’elle voulait inventer pour continuer d’avancer à reculons, à l’envers. Elle se sentait si proche de lui alors qu’elle se savait si loin. Elle se voulait toujours dans sa mémoire, dans son quotidien, dans ses pas et dans ses rêves mais elle savait qu’elle n’existait plus pour lui depuis longtemps, si longtemps. Elle avait construit des relations inutiles de quelques heures. Elle avait refusé leurs chances à tout ce que le soleil lui apportait. Elle restait dans l’ombre, elle restait la passagère du vent et pourtant immobile crier intérieurement puisque personne ne l’écoutait plus. Elle s’allongeait sur les pavés humides. L’eau de mer, l’eau de pluie, l’eau des larmes la noyaient à chaque fois mais elle ne savait pas vraiment où elle était ni même qui elle était. Elle aurait pu partir. Peut être même le rechercher ailleurs que dans ses rêves mais elle restait avec les démons qui la brulaient, les démons qui la noyaient, les démons qui la tuaient.
A la fin des nuits, quand les étoiles donnent toute la lumière qu’il leur reste, saoulée par sa propre violence, par sa propre destruction, elle entendait enfin le calme autour d’elle. Personne n’était plus autour d’elle. Ce qui restait suffisait. Elle entendait, au loin, les heures sonner aux différents campaniles de la ville. Et les coups des carillons sur les surfaces des cloches ressemblaient aux chutes des anges sur la terre ou aux coups que chacune des phrases qu’il avait dites lui portaient. Elle avait depuis longtemps oublié la fierté parce que malgré les épreuves, malgré la tristesse, malgré l’abandon, son château n’était pas tombé. Mais regarder les étoiles sans lui était toujours au dessus de ses forces. Toujours au dessus ce qu’elle pouvait supporter. Là, où la vie reprendrait bientôt ses droits, où les marchands de partout chercheraient à faire fortune, là où les pécheurs partis depuis si longtemps viendront vendre au plus offrant le fruit de tant d’heures de mer, là où les forgerons, les cordonniers, les vanniers et les bouchers, les verriers et les bijoutiers, les boulangers et les maraichers prendront place, elle restait. Il y avait au milieu de la mer qui entourait la ville, une immense plaie béante qui restait sombre et laissait sa vie dans l’obscurité. C’était devenu une addiction de penser à lui, une sorte de lumière sombre dans l’obscurité. Même sous la neige même sous le vent, elle se souvenait des étreintes feintes comme des champs couverts de jonquilles ouvertes à tous les vents et brulant sous le soleil de son immense amour. Et lorsque les fleurs du mal fanèrent, elle chercha les jasmins, elle voulait trouver les senteurs du bonheur mais la dépendance était trop forte et malgré tout ce que les hommes peuvent dire, toutes les belles choses que toutes les femmes auraient aimé entendre, il restait sa douleur. Elle tombait, elle s’enfonçait et il ne la sauverait pas. Et si d’autres s’essayaient à sauver l’improbable, cette lumière frapperait l’obscurité de la plaie. Et tomberait aussi longtemps qu’elle s’était vue se vider sans réussir de cette marque. Et si au milieu des rues ou de la confusion, elle restait seule. Elle s’excusait auprès des fantômes endormis de penser à voix haute, de pleurer en silence et seulement d’être ce qu’elle était. Chaque jour, la route semblait de plus en plus longue pour retrouver sa porte et pourtant il semblait qu’elle ne disparaitrait jamais. Elle était là depuis toujours et elle y resterait. Chaque nuit était plus venteuse que la précédente, plus sombre et plus froide et chaque nuit laissait un océan de larmes plus profond encore. Elle avait beau se raisonner, se demander pourquoi elle devait rester là, pourquoi elle devait rester seule sans qu’il vienne la chercher mais elle savait qu’il n’en saurait jamais rien et que tout ce qu’elle aura tenté pour l’oublier, des pires tréfonds aux plus hautes montagnes, n’existerait jamais. Elle revenait toujours, elle reviendrait toujours même après. Elle avait baissé toutes les lumières de sa vie, baissé le son des cris qui frappaient dans sa tête parce qu’elle savait qu’elle ne pourrait pas faire qu’il l’aimât. Il ne l’aimait pas, il ne l’avait jamais aimé et il lui avait montré. Dans ces nuits tristes au milieu des somptuosités du monde, elle avait posé son cœur et lui avait donné. Il ne l’avait pas vu. Il l’avait ignoré.