Voleur d’ombres (4ème époque, Episode 11) Passaggeri del vento

Les jours passaient et les mondes continuaient leur danse folle à travers les âges. Elle continuait à arpenter les rues. Les nuits se succédaient aux nuits et rien ne semblait changer le cours des choses. Sa vie aussi suivait un cours qu’elle ne maitrisait plus vraiment. Les lumières blafardes des ruelles, le ressac des vagues sur le long des quais rythmaient les nouvelles déambulations. Les foyers laissaient poindre à travers leurs persiennes de minces filets de lueurs qui donnaient des halos. L’obscurité de la ville lui accordait un anonymat qu’elle n’était pas sûre de trouver en plein jour. Elle n’était pas célèbre, loin de là mais sa fonction entrainait une part de visibilité pour tous les milieux qui faisait que tous les habitants la connaissaient. Le théâtre étant la seule véritable distraction possible malgré un taux de lettrés bien supérieur au reste du monde connu. Alors les vénitiens la reconnaissaient souvent dans les rues.
Elle avait depuis son plus jeune appris à se perdre dans les passages et les sous pentes de la ville. Il fallait errer. Il n’y avait qu’ainsi qu’on pouvait ressentir le cœur de la ville, ressentir la fièvre de la tranquillité, le calme euphorique du silence et de l’obscurité. Tout était toujours calme et tout pouvait donc arriver.
Depuis quelques jours, elle avait décidé de se perdre du côté de l’Arsenale. Il faisait bon malgré les averses printanières et la distance faisait que l’errance était plus longue, plus complète, plus durable.
Il était tôt ce mardi soir. Deux heures du matin au plus et la nuit était douce. Le vent marin apportait les senteurs maritimes qui se mêlaient au parfum des jasmins qui partout dans la ville commençaient à poindre. Encore une fois, elle n’avait pas véritablement de but ou de projet. Elle avait beau y être née et avoir toujours vécu ici, elle demeurait subjuguée et parfois même interdite devant la beauté de cette ville. Elle adorait cette ville. Elle n’avait jamais voyagé et n’avait même jamais quitté l’ile et pourtant, elle trouvait que c’était le plus bel endroit du monde. Elle n’en connaissait pas d’autres mais aucun, selon elle, ne pouvait rivaliser. Elle avait lu des livres et même les descriptions d’ailleurs mais rien pas même les palais de l’extrême orient ou les terres sauvages d’Afrique ne semblaient comparables avec les canaux.
Longtemps, elle avait espéré être traitée en femme, être aimée juste pour ce qu’elle est et non l’image qu’elle s’efforçait de renvoyer. Et l’espoir qui faisait vivre Franchi c’est la Salute qui rayonnait sur la ville désormais qui le portait. Elle allait chaque jour, au petit matin, après son errance s’assoir sur les bancs de l’Eglise ouverte. Et l’errance qui faisait survivre Franchi c’est la Salute qui la recevait. Aujourd’hui, seule Marie prenait soin de son âme qu’elle savait impure et pervertie. Alors aux aurores, sur le sol froid de cette merveille, elle s’allongeait pour se purger. Elle demandait à la vierge Marie dans un souffle lâché au marbre gelé qu’un miracle s’accomplisse. Et l’amour que priait Franchi, c’est la vierge qui le tenait. Elle se forçait à croire en un destin qui n’était plus le sien et elle se battait surtout contre elle-même pour rester debout et quoiqu’elle fasse, elle ne pouvait s’empêcher de croire que ce qui la tenait debout c’est la Salute qui lui donnait et que tout ce qu’elle continuerait à vivre, c’est la Salute qui en fait le vivrait.
La cathédrale devint vite le symbole de la ville et le rappel de sa liberté retrouvée. Un hommage sublime rendu à Dieu qui dans sa miséricorde laissa la moitié des habitants survivre. Les pêchers qui avaient condamné Venise pendant ces années pesteuses auraient dû être oubliés, interdits mais pourtant, il y avait dans l’air, malgré les mesures morales édictées par la papauté, une envie de liberté après un confinement si long. Depuis deux ans, elle ressortait librement mais pendant des mois, elle avait dû laisser porte close et lutter pour se nourrir. Le théâtre était évidemment fermé et les journées passaient sans jamais cesser. Trop longues, trop dures.

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