L’ombre grandissait sur le bitume de la rue. Le soleil dardait de ses rayons dorés le dos du marcheur égaré mais droit. L’ombre atteint son apogée à l’endroit où la pente se raidit. Elle allait se résorber désormais à chaque pas jusqu’à disparaître mais elle annonçait l’arrivée du prochain personnage, du prochain habitant du palais perdu.
Il n’arrivait pas encore à déterminer la personne qui lentement mais sereinement s’approchait de l’entrée imaginaire du palais. Il savait que ce serait le prochain habitant de ce non lieu et qu’il lui arriverait des choses qu’il était incapable de prévoir pour l’instant mais il le savait déjà. Il avait pris cette habitude depuis des semaines désormais.
Depuis que les mouvements des hommes étaient comptés et réduits, une sorte de retour aux sources s’effectuait à l’insu de chacun. Les nuées d’étourneaux ou de passereaux au dessus des villes devenaient un quotidien que tous savouraient finalement. Les nuages eux mêmes reprenaient une forme plus moutonneuse, plus lourde, plus compacte.
Les rivières semblaient plus poissonneuses et même la météo montrait des signes de clémence après des mois particulièrement pluvieux et gris. Au loin, la silhouette devenait plus masculine. Jusqu’alors, elle n’avait été qu’une longue ligne noire d’ombre sur le sol. Désormais, on devinait facilement les contours d’un homme au physique des plus banals. Un de ces hommes sans age comme il y en a des centaines dans nos villes. Entre deux ages donc, entre deux tailles, entre deux poids. Un stéréotype de l’entre deux. Ni tout à fait riche d’allure, ni tout à fait démuni, ni tout à fait beau, ni tout à fait laid de ce qu’on pouvait en deviner pour l’instant.
Sa démarche était lente, voûtée par le temps passé à chercher un oasis, un havre de paix. Il avait vu au loin, les hautes ruines du palais des songes et le considérait déjà comme sa seule issue, sa seule possibilité fragile de survie. Il avait marché et erré depuis son abandon. Il avait traversé des mondes inconnus et que finalement il ne soupçonnait même pas. une rupture n’est pas censée créer de nouveaux mondes, de nouveaux paysages.
Il savait pourtant que l’image de la traversée du désert accompagnait les souffrances de l’abandon mais il n’avait jamais soupçonné qu’il devrait réellement traversé un désert de songes, un désert d’images. Et pourtant, il en était là à marcher dans un désert où chaque grain de sable n’était qu’un souvenir des temps passé, du temps jadis, du temps où marcher à deux avait un sens. Un autre temps. Toujours, il s’était dit que les traversées du désert n’était qu’une volonté personnelle de souffrir, un désir de se plaindre et d’être à plaindre. Un chemin de croix où chacun se construisait sa croix plus ou moins grosse selon le degré d’autodestruction et puis, le mythe, le symbole devint une réalité.
Il avançait, il savait qu’il avançait et pourtant les hautes ruines du château qu’il avait vu être détruit par un tsunami venu de nulle part ne se rapprochaient pas. Il s’était concentré sur la provenance de l’eau. Au milieu du désert de nulle part, sans nuages,sans le moindre signe annonciateur d’une catastrophe. Il convoqua les dernières forces mentales qu’il trouvait au plus profond de lui même. Son corps le portait vers le palais détruit mais son esprit cherchait un sens.
Il fallait qu’il trouve des sens aux choses, des raisons aux êtres, des vérités aux mondes. Il crut en la science et à des phénomènes inexplicables qu’il ne pourrait comprendre. Il crut à une illusion mais lui aussi, reçut cette eau salée. Ce n’était pas un mirage.
Et puis, à force de ne pas avancer malgré ses efforts, à force de chercher sans trouver malgré toutes les suppositions, il comprit que ce monde ne se construisait qu’à travers ce qu’il ne croyait pas, ce qu’il ne voulait pas, ce qu’il ne pouvait pas. Il ne pouvait y avoir de traversée du désert, il traversait le désert. Il ne pouvait y avoir de château de contes de fées ou de poupées de princesse, il y avait un château improbable, il ne pouvait pleurer sur tout ce qu’il avait perdu, les larmes qu’il n’avait pas pu verser, se déversèrent sur ses illusions. Il aurait fallu qu’il cesse de penser, il aurait fallu qu’il cesse de vivre mais l’instinct de survie est toujours trop fort chez l’animal humain qui veut connaitre le chapitre suivant.