Voleur d’ombres 24

Les sirènes des véhicules de secours hurlaient depuis la caserne de l’Avenue Garibaldi. En réalité, l’effervescence semblait venir de toutes les rues alentour. Dans la rue, l’attroupement faisait monter un murmure qui devenait vacarme.
De ci, de là, les individus attroupés sortaient de la foule pour utiliser son téléphone. Qui pour appeler la presse ou les amis pour annoncer la nouvelle, qui pour filmer et diffuser au plus vite sur es réseaux sociaux l’événement exceptionnel. Tout ce bruit le sortit de son sommeil. Il était posé devant sa fenêtre, face à la rue et il s’était assoupi. De son point de vue, il voyait les badauds accourir malgré les interdictions.
Soudain, la foule se dispersa. Tel un essaim d’abeilles attaqué par un ours, chacun semblait chercher un moyen de s’enfuir sain et sauf. Certains remontaient en courant la rue, d’autres s’engouffraient en urgence dans les entrées des immeubles. Un avait même poussé l’audace à se cacher sous une voiture. Il pleuvait. Il se rendit compte soudain de ça. Il s’était mis à pleuvoir durant son sommeil. Les caniveaux évacuaient le trop plein et il pensa à l’homme qui se cachait sous la voiture. Les sirènes s’étaient véritablement rapprochées et on entendait aisément les pneus crisser dans les rues attenantes.
Débouchant du haut de la rue, trois véhicules en dehors de toute limite de vitesse arrivaient. La garde nationale républicaine dictatoriale progressiste était désormais sur les lieux. Une ambulance avait essayé en désespoir de cause de les suivre à travers les dédales des rues et se présenta sur les lieux quelques secondes plus tard. Comme à leur habitude, les soldats de l’ordre ne faisaient pas dans la discrétion. Les portes des véhicules claquaient, les liaisons radio hurlaient et perçaient le silence de mort de la ville. Ce fut un nouvel attroupement d’uniformes.
Au sol, allongé, un homme portait une tenue étrange sur laquelle claquait la pluie : des couleurs criardes, des tissus trop fins pour la saison et des chaussures trop légères pour les frimas de l’automne. Entre ses doigts, un mince filet de sable blanc et fin s’échappait.
Les secours semblaient s’affairer autour de l’homme allongé. Il décida d’ouvrir la fenêtre malgré la pluie, malgré le vent, malgré le froid espérant ainsi entendre des mots, des sons. En dépit du silence profond des rues et du monde depuis les nouvelles règles, il était trop loin, trop haut pour parvenir à ses fins sonores. Il décida de sortir de la commode, la vieille paire de jumelles. La situation semblait figée. Chacun avait ses propres occupations autour de ce qui semblait être un cadavre. En jouant sur les optiques, il réussit à voir le visage de l’homme qui n’était pas encore bâché. Il lui sembla le connaitre, le reconnaître et le sourire affiché par l’homme au sol dégageait une telle quiétude, une telle paix qu’il espéra l’ombre d’un instant que les sauveteurs le laissent tranquille. Même si peu de véhicules ou de personnes circulaient désormais en cet endroit, il fallait dégager la voie.
Apparemment, le temps était passé. Le calme semblait revenir puisqu’il n’y avait rien à faire. Le brancard était sorti. Dans ses jumelles, il restait fixé sur le visage apaisé de cet homme qu’il connaissait. Il ne savait pas où il l’avait vu mais il reconnaissait son sourire. Les mains se posèrent sur le corps, le saisirent et le levèrent. Des poings serrés, coula un sable blanc, fin et celui-ci traça une ligne sur le bitume humide de la rue.
Les portes claquèrent à nouveau. Il n’y avait pas de sang, pas de cris, pas de larmes. Il ne restait que du sable sur le goudron.

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