Il fallait choisir une direction. Attendre que le tourbillon se calme, s’il se calmait un jour et choisir, décider et agir. Il n’était plus temps de réfléchir ou de s’interroger sur le sens des choses. Il fallait avancer et il n’hésita plus à aller de l’avant. Face à lui. Les premiers pas furent hésitants. Il était trempé. Il sortait du tourbillon de la vie. Désormais, il était nettoyé de tous les apparats. Il était nu. Libéré de toutes les affres matérielles, de toutes les contingences d’une société qu’il n’avait jamais comprise, il se sentait pur, nettoyé, neuf. Il ne pouvait plus faire semblant en rien et il le savait.
La lumière s’intensifiait au fond de la pièce comme un grand puits. L’image classique de tout chemin initiatique et de toutes les théories sur le bien-être et ce genre de choses auxquelles il n’avait jamais adhéré. Il avait toujours regardé ses philosophies comme des modes et il n’avait pas trop de respect ou d’intérêts pour les modes. Il jouait en ce moment autre chose que des lubies. Il jouait le sens.
Tout ce qui l’entourait devenait symbole, devenait valeur. La moindre image, le moindre détail de l’environnement portait des mondes de souvenirs ou de regrets, encore. Il décida de rejoindre la lumière parce que c’était là qu’il y aurait désormais la vie et rien d’autre.
Les murs se transformaient à chacun de ses pas. Ils passaient du boisé flamboyant au marbré délicat. Chaque pas changeait les œuvres, chaque pas changeait sa propre perception. Il se rappelait de toutes les excuses qu’il avait inventées pour faire les choses comme il en avait envie. Toutes ces façons de contourner les obstacles, de faire les choses à sa façon et d’éviter de plonger, de se jeter dans le grand bassin. Toutes ces maladresses qui lui avaient permis d’éviter de grandir, de devenir adulte puisque c’était si important d’être adulte et qu’en réalité, comme tous, il ne voulait pas être adulte. Il voulait être lui mais il n’avait jamais pu.
Contraint par ce que les autres l’obligeaient à faire de lui-même, contraint par ce besoin de plaire, cette peur de la solitude et de l’abandon, ce besoin d’avoir une autre pour se sentir vivant. Il avait tout subi à force d’éviter et là, il lui fallait faire. Alors, les hésitations, les doutes, les manques d’habitude revenaient et le submergeaient.
A présent, il savait qu’il lui fallait plus encore que toutes ces personnes croisées et jamais rencontrées, vues mais jamais regardées. Il lui fallait s’affronter lui-même pour vivre enfin ce désir contenu en lui de la femme aux yeux verts. Il devait se regarder lui-même dans les yeux et s’avouer ce qu’il était et ce qui disparaissait. Il ne pouvait plus se satisfaire de se dire qu’il voulait, même si ce désir lui brûlait les pores de la peau. Il était temps d’assouvir, d’affronter.
Jusqu’alors, il avait suffi de chanter ou danser sous la pluie pour éviter d’être. Il avait suffi de croire que persuader les autres suffisait pour exister et qu’il n’avait plus besoin de lutter pour être écouté. Il suffisait de puiser en lui-même, en son cœur, pour ne pas demander d’amour. Il s’était mis de lui-même en marge de tous ces sentiments. Il en avait assez d’attendre une improbable venue pour le changer.
Il arrivait à ce qu’il croyait être la fin de la pièce. Le mur face à lui n’était qu’une immense clarté. Ni porte, ni fenêtre, seulement cette lumière éblouissante, confortable. Autour de lui, les marcheurs se multipliaient et prenaient des visages différents à chacun de ses regards. Transformés par sa propre opinion, par ses propres yeux.
Tout était en mouvement perpétuel mais tout demeurait sublime, divin, irréel de beauté et de félicité et pourtant, il en voulait encore plus. Il fallait qu’il aille dans cette clarté, à travers, de l’autre côté. Qu’il sache ce que cachait ce monde. Il le voulait au moins autant qu’il avait désiré la femme aux yeux verts. Il avançait dans la lumière et ne rencontra aucune résistance. Son désir était plus fort, trop fort.