Voleur d’ombres 15

C’était la première fois qu’il recevait un baiser et qu’il en appréciait l’idée. Jusqu’alors, il s’était obligé à en donner et il n’en recevait que sous la contrainte. Sans doute que son aversion pour cela expliquait ce manque. Il avait toujours pensé que le partage d’un baiser était une part d’intimité bien plus forte qu’un acte sexuel. Il savait bien que cette pensée était contre nature ou, au moins, décalée par rapport à la pensée dominante mais pour lui, embrasser, signifiait un engagement de l’âme alors que le sexe n’était qu’un engagement du corps.

Surpris de ce baiser, il n’avait pas fermé les yeux, se noyant dans ceux de cette inconnue qui ne les fermait pas non plus. Il profitait de la magie de ce baiser pour se souvenir à quel point cela pouvait être doux, beau, et à quel point il avait raison de se dire qu’un baiser valait beaucoup plus qu’autre chose. Il ressentit au plus profond de lui, un souffle de vie. Comme si ce baiser amenait, à nouveau, tout l’espoir du monde de trouver le bonheur. Cette quête perpétuelle et également partagée par tous.

Il se vit soudain, sous les eaux, étouffant, les poumons pris par la tempête. Il se retrouva dans le tourbillon qu’il avait évité plus tôt. Ce torrent de larmes, ce tsunami de pleurs, cet océan de souffrances qu’il avait ravalé, enfoui, oublié, lui tombait, enfin, dessus.

Il voulait nager mais les vagues, le courant et la fureur des flots l’entrainaient de part et d’autre, sans qu’il puisse se débattre. La puissance de l’eau, tout comme la puissance du baiser, le désarmait. A bout de force, il accepta de lâcher prise. Il ferma enfin les yeux. Il tournait et tournait encore dans un déluge de félicité et de paix. Il sentit deux mains se poser sur ses joues. Le baiser durait et il en voulait encore. La paume des mains sur sa peau lui rappela la main sur sa nuque. C’était elle, elle était revenue pour achever son œuvre.

Cette reconnaissance le soulagea. Il était en confiance. Elle était là.

Il était transporté par les vagues de sentiments qui le chahutaient et l’éjectaient telle une poupée de chiffons mais il ne tenta rien pour se débattre. Il acceptait ce baiser et toutes les conséquences. Il acceptait le naufrage et la tempête. Il acceptait cette fin de vie qui n’était qu’un renouveau. Le début d’une ère inconnue et d’un monde à conquérir et à construire. Il sentait à nouveau les muscles de son corps et, bien que sans résistance, il reprenait figure humaine. Il redevenait humain à mesure que le fluide de vie passait par ce baiser.

Elle était désormais sa force, sa vie, son besoin, son essence. Elle n’était qu’une ombre passagère et furtive dans son horizon mais elle était l’essentiel. Déjà bien plus importante que la plupart des rencontres de sa vie alors qu’elle n’allait être là que quelques instants. Il le sentait, il le savait. Elle ne resterait pas parce qu’elle n’était qu’un mirage, un songe, un murmure. Un baiser.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras, la toucher, la caresser mais il se dit que ce désir, s’il devenait réalité, allait briser la magie de ce moment. Il voulait croire qu’elle était là, réelle, vivante et soufflant la vie en lui. Ce souffle qui lui permettait de ne pas succomber d’asphyxie sous les eaux. Elle le maintenait en vie et, plus encore, elle le renforçait et le remplissait. Elle serait désormais la seule chose qui pourrait le faire avancer puisqu’elle était la seule capable de le faire vivre.

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