Voleur d’ombres 14

Les lames du parquet lui rappelèrent qu’il n’était pas chez lui, qu’il n’était pas dans son élément et qu’il ne contrôlait rien des événements. Il subissait même s’il voulait croire que tout venait de lui et de son imaginaire.

La foule ne le considérait pas. Chacun vaquait à ses obligations sans voir que, maintenant, au centre de la pièce stationnait un Jésus improbable.

Il ne se souvenait pas avoir marché jusqu’à cet endroit. Il n’avait aucun souvenir des effets de mobilier qu’il vit lorsqu’il se retourna. Les objets de décoration ou de charpente regorgeaient encore de splendeurs qu’il avait négligées.

Il voyait derrière lui des colonnes de marbre surplombées d’énormes jarres en cristal de Baccarat et pleines de fleurs aux couleurs éclatantes et aux senteurs douces et sucrées. Tout était couleurs chatoyantes et formes esthétiques. Rien ne semblait laid et ce qui aurait pu paraître laid pour certains devenait une beauté mémorable à ses yeux.

Les tableaux gigantesques semblaient tenir contre les murs de manière magique, incompréhensible. Ils n’étaient pas fixés au mur, ils paraissaient flotter dans l’air et peut être même qu’en réalité, ils se déplaçaient dans la pièce. Plus encore que l’éventuel déplacement des cadres, c’est sur la toile que les actions s’animaient.

Les scènes de bataille donnaient même l’impression que des océans d’hémoglobine allaient envahir la pièce alors que les scènes de naufrages annonçaient de violentes tempêtes dans les ruines. Tous les tableaux allaient achever les actions décrites au milieu de la pièce et les portraits allaient relâcher les individus momentanément piégés.

Il semble que, en réalité, toutes les personnes qui naviguaient de manière alerte au milieu des autres et au milieu des merveilles n’étaient en réalité que des images décrochées des cadres, des tentures ou des statues. Elles semblaient trop belles pour n’être que des êtres de chair. Elles portaient en elles des univers de beauté qui ne pouvaient être réelles. Elles n’étaient qu’illusion, forcément.

Les badauds le bousculaient, l’évitaient mais il restait subjugué par les beautés qui l’entouraient. Il ne faisait pas attention aux personnes. Il se sentait enivré par tant de beautés qui sortaient de partout. Les murs, les tableaux, les meubles, les fleurs, l’air même, semblaient vomir du sublime. Tout dégueulait le beau, le pur, l’immaculé. La musique continuait de résonner au fond de la pièce et il savait qu’il lui fallait la rejoindre.

Il se retourna, armé d’une conviction et d’une énergie plus forte pour atteindre ce nouveau but. Il tomba nez à nez avec une femme vêtue d’une longue tunique pourpre. Sous son capuchon, deux yeux verts émeraude scintillaient et délivraient un message d’espoir. La vie était là, dans ce regard. Le monde des vivants, des envies, des rêves devenus réalité étaient là.

Il resta prostré, interdit, condamné à l’immobilité par la puissance de ce regard. Elle leva les mains. Sa peau était cuivrée, chaude. Elle ôta son capuchon et laissa apparaître des cheveux noirs de jais, longs, soyeux. Sans être coiffés, ils tombaient en de fragiles fils sur ses frêles épaules. Elle releva davantage la tête et ses yeux le fixaient sans jamais dévier ou cligner. Ils étaient d’un vert inconnu. Une couleur à la fois chaude et inquiétante mais il ne parvenait plus à se décrocher de ce regard. Ses traits étaient fins.

Ils se fixèrent quelques secondes qui parurent des millénaires. Sans jamais le lâcher du regard, elle l’embrassa. Un de ces baisers dont on rêve et qui n’existe jamais. Il ne pouvait fermer les yeux. Il était comme aspiré par ce regard. Il sentait qu’il se noyait et il adora cette sensation.

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