Voleur d’ombres 13

 

Chacun de ses pas ouvrait sur un nouveau monde. A chaque fois, il découvrait une autre merveille qu’il n’avait pas vue. Ses yeux n’en pouvaient plus de voir tant de chefs d’œuvre réunis en un espace si réduit. Être resté si longtemps les yeux fermés, rendait chaque objet magique et unique mais il préféra considérer qu’il était bien dans un monde construit par son imaginaire et qu’ainsi, chaque élément de ce décor lui semblait être parfait.

Il s’arrêta sur les serveurs ou les diplomates. Sur les gens. Il ne put s’empêcher de les trouver beaux. Homme ou femme, ils dégageaient tous un charme particulier. Une douceur pour certains, une force pour d’autres mais une caractéristique, qui faisait que, chacun dégageait une aura spéciale. Ils n’étaient pas les gens de son quotidien. Ceux qu’ils croisaient au boulot, dans les transports ou à la boulangerie. Ils avaient manifestement quelque chose de plus, quelque chose comme un puissance venue d’ailleurs qui leur donnait ce petit plus indescriptible qui fait qu’on pose le regard ou pas.

Il avait perdu sa vie à passer à côté d’inconnus sans jamais les voir et a fortiori encore moins les regarder. Il comprit que, encore une fois, il avait manqué l’essentiel. Qu’à ne pas regarder celui qu’il ne voulait pas voir, celle qu’il ne voulait pas remarquer, il avait raté l’essentiel. Toutes ces personnes qui parsemaient son quotidien et dont finalement il ne savait rien, parce que cela ne l’avait jamais intéressé.

Il s’imagina toutes les vies qu’il n’avait pas vues, qu’il avait ignorées et qui l’ignoraient en retour. Il se rassura en pensant que toutes ces âmes errantes, elles non plus, n’avaient pas cherché à le rencontrer.

Il se tenait debout, droit. Il essayait d’avoir une constance et peut être même une prestance. Il savait qu’il était vêtu comme un quidam au milieu de cette opulence de soie, de cachemire ou de tissus dont il ignorait l’existence. Il regarda parce qu’il y avait longtemps qu’il n’avait pas pris conscience de lui-même.
Il était désormais vêtu d’une triste tunique grise et la caricature des mendiants des temps jadis. Une pâle copie des représentations du Christ sur les tableaux de la Renaissance.

Ses cheveux étaient longs comme ils ne l’avaient jamais été. Alors qu’il avait toujours mis un point d’honneur à être chaque jour rasé de près, il portait une longue barbe mal taillée. Il refusa de se voir dans un des miroirs accrochés sur l’un des murs parce qu’il avait peur de se détester. De détester l’image qu’il verrait de lui. Il tenait à conserver une once d’estime de lui-même. Il ne savait pas ce qui l’attendait mais ce saut dans l’inconnu l’obligeait à rester digne.

Il chercha à confondre les deux images qui se superposaient en lui. Cet aspect mystique, médiéval, sale, pur qu’il arborait et le visage de toutes les personnes des beaux quartiers qu’il croisait tous les jours, sans les saluer, ni les connaître, ni les reconnaître ou même sans s’en soucier. Il se dit que finalement, son aspect n’aurait pas changé grand-chose à l’indifférence qu’il montrait en temps habituels et à celle qu’il subissait. Il préféra, à cet instant, ignorer sa vie d’avant. Elle ne serait de toute façon, jamais aussi belle que celle qui semblait vouloir s’offrir à lui maintenant.

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