La chaleur de cette main douce sur sa nuque le tenait éveillé. Enveloppé qu’il était par la protection de la musique, il aurait pu facilement tomber dans le sommeil. Un sentiment de plénitude l’envahit. Tout semblait parfait. Au loin résonna un aria chanté par une voix cristalline d’enfant et qui complétait parfaitement la mélodie. L’air était chargé de beauté, de pureté, de belle candeur.
Il était protégé par la musique, par l’air, par la voix, par la main ; un univers entier se mettait en mouvement, à l’unisson, pour le chérir. Il ne connaissait pas ce sentiment et Dieu ! Qu’il aimait ça… Pour la première fois de ce qu’il avait vécu, il se sentait aimé. Il se sentait même important, alors qu’il était affalé sur une table, au milieu d’un monde désuet et improbable. Il n’était rien, ni personne, en cet instant, mais il se sentait être un tout, le centre du monde, le pivot de l’univers.
Il n’ouvrit pas les yeux. Il n’en voyait pas l’utilité. Il sentait bien autour de lui une agitation particulière, une effervescence, un tourbillon, de chants, de musique, de rires, de joie. En cet instant, le monde n’était qu’un immense champ de bonheur, comme si chaque coquelicot recelait en lui, un monde de rires d’enfants. Il ne put s’empêcher de sourire à cette image mais la pensée que tout cela mourrait bientôt, fit couler une larme le long de sa joue. Il avait cru que la vague de larmes qui avait submergé ce monde nouveau, signifiait que, désormais, il était vide de larmes et pourtant, il semblait bien que non. Il lui restait encore des forces de désespoir. Un sentiment diffus, comme s’il savait qu’il vivait là, le plus beau moment de son existence et que, en même temps, ce moment n’existerait plus.
Un événement unique le plongeant dans une plénitude extrême et dans une profonde détresse. Le besoin de jouir pleinement du moment en sachant qu’il n’existera plus jamais.
L’air se remplit d’un mélange de riches senteurs d’épices exotiques. Il hésitait à ouvrir les yeux. Il les entrouvrit pour essayer de distinguer le mouvement autour de lui. Beaucoup de lumières, de gens qui passaient devant et autour de lui, des rires, du bruit, et toujours ce chant divin. Il était englobé, lové, entouré de cette douceur cotonneuse. Il se décida à voir et à profiter.
La joue gauche toujours posée sur le plateau de la table, il regardait le mur face à lui. Ce n’était plus le mur qu’il avait vu en entrant. C’était un mur enduit à la chaux et couvert de tentures faites de pourpre et d’or. Celle qui se trouvait face à lui représentait un lion d’or sur un fond pourpre.
Plusieurs personnes passaient et passaient encore devant lui et lui cachaient la vue de l’animal. Hommes ou femmes, elles étaient vêtues de tuniques d’un blanc immaculé et toutes portaient un serre tête doré et une ceinture de fil d’or. Elles avaient toutes un plateau d’or fin, entre les mains, dans lesquels trônaient des mets tous plus raffinés les uns que les autres. C’est en tout cas ce qu’il pensa en contemplant les dispositions dans les plats et les décorations. En tournant la tête, il ne reconnut pas la pièce.
Désormais, il y avait des colonnes ciselées, des miroirs dans des cadres dorés au plafond, des fleurs éclatantes de couleurs pétillantes dans tous les vases, des escaliers avec des marches en marbre de carrare et des dalles qui alternaient marbres blancs et roses. De là où il se trouvait, il ne pouvait apercevoir l’extrémité de la salle. Un immense couloir où scintillaient des lustres en verre de Murano, ou ce qui aurait pu en être, remplaçait l’austère pièce vide.
Il avait le sentiment d’être dans un château du grand siècle alors qu’il se croyait davantage dans une cellule monacale. Sa table n’était plus la table modeste qu’il caressait auparavant mais elle était devenue une table richement décorée d’or et de rubis, de perles et de fioritures. Sa chaise ressemblait davantage à un trône avec son assise rebondie et couverte d’un velours pourpre, son dossier épousant parfaitement les courbes de son dos et ses accoudoirs forgés à même l’or des mines perdues d’un pays sans nom.