Voleur d’ombres 10

La musique résonnait désormais au pas de la porte. Amplifiée, magnifiée par la proximité. Elle semblait écrite pour lui, faite pour lui, comme un accompagnement, un guide, un phare. Le concert derrière la porte perdurait. Chaque note donnait un avant gout de paradis. Il ne bougea pas. Il profitait autant que possible de ces instants qui semblaient n’exister que pour lui. Il restait dans cette incertitude. Aller voir ou continuer, encore, à savourer, à profiter de cet instant de magie. Les moments de plénitude, de joie, d’accomplissement se révélaient suffisamment rares pour qu’il ne les gâche pas avec un geste déplacé.

Tel un enfant qui ne veut pas casser son nouveau jouet et hésite à le toucher, il ne voulait pas bouger pour ne pas casser la magie de cet instant.

Tout respirait une certaine perfection. L’essentiel était là, présent et diffusait autour de ce moment une magie divine. Il se souvenait de tous ces instants de détresse, de tromperies, de souffrances. Il voulait oublier ce qui l’avait poussé vers de telles extrémités. Oublier qu’il avait tort mais qu’on lui avait menti. Oublier que tout était sa faute mais que les sentiments ne peuvent pas se partager quand ils ne sont pas réciproques.

Longtemps, il avait cru aux histoires d’amour légendaires, aux rêves de félicité et d’éternité mais, cette fois, il le savait désormais. Ce romantisme mièvre, désuet ne correspondait plus à l’époque. Il n’était pas, il n’était plus un homme de son temps. Il le regrettait mais il en avait fait son deuil. Les choses vont rarement dans le sens des personnes sentimentalement fragiles. A donner sans retour, il avait fini par s’épuiser à la tâche.

Pourtant, et malgré tout cela, il sentait, au fond de lui, comme une envie toujours présente d’y croire mais le ressort était cassé. Il devait se résoudre à accepter de perdre ce combat contre la fatalité. Il avait voulu aimer, il avait cherché à aimer, et cette quête l’avait mené à se tromper, encore et encore. Si l’échec n’était pas, en soi, si grave, la répétition de l’échec, l’entêtement dans l’échec et dans ce désir fou de s’accrocher à celles qu’il ne faut pas, rendait l’échec invivable désormais.

Cette fois, comme un dernier feu d’une civilisation qui s’éteint, il avait mis les dernières armes dans la lutte. Il s’était battu, au-delà même de ses forces, mais ça n’avait pas suffit. Son idéal résistait mal aux contraintes des principes, aux règles édictées par on ne sait qui, on ne sait où, on ne sait quand. Alors, maintenant, toute cette fatigue pesait de tout son poids sur ses épaules. Il était las. Il était même épuisé de cette lutte perdue d’avance alors il ne bougeait pas.

Derrière lui, il sentit un souffle d’air frais. Il crut d’abord à une rafale de vent plus violente et puis, il se souvint que la porte était close. Pourtant, la musique était encore plus présente, plus forte, plus tactile même. Elle était là. Il avait refermé ses yeux et il n’osait pas les ouvrir. Il continuait à se sentir porté par une puissance des sens. Une force inexplicable venue d’un nulle part improbable.

Une main douce, chaude, fine, lui caressa la nuque doucement, tendrement. Au contact de la peau, il pressentit une main de femme. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas été touché avec autant de douceur, de tendresse. Des années sans doute. Des siècles, peut-être même. Il comprit qu’en réalité, il n’avait jamais ressenti cette sensation, cette émotion. Une simple caresse qui envoyait tout l’amour du monde et délivrée sans rien attendre en retour, juste pour la beauté du geste. Il considéra que c’était la plus belle seconde de sa vie et il voulut qu’elle dure au-delà même de l’éternité. Cette main sur la peau de son cou réveilla toutes les fadaises romantiques qu’il avait enfouies au fond, au plus profond de lui-même.

Au jeu du questionnaire de Proust, à la question: » si Dieu existe ? » , il aurait répondu qu’il se transforme en cette femme qui, un jour, me caressa la nuque comme si j’étais l’unique et le plus bel amour de sa vie et me fit croire l’espace d’un instant que c’était vrai.

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