Venise, hiver (texte invité)

Venise, hiver
Dans le reflet irrégulier du vieux miroir piqué nos visages usés par la ville et par la marche, nos yeux fatigués d’avoir trop vu et trop appris semblent s’effacer doucement dans la lumière tamisée du café Florian, figé dans une éternité d’élégances surannées; à côté deux antiquités trés “années trente” papotent, évoquant des souvenirs d’amants, un faux ersatz de sexe évanoui, une vie archivée derrière le masque de la vieillesse.
Mon fils me parle du brouillard, et de notre quête d’une cour secrète tant espérée et finalement trouvée aux derniers feux du crépuscule grâce à un chat bavard qui nous présenta à son puits préféré en des mots étranges seuls connus des aventuriers de la cité.
Venise est un mirage de ville posé entre les flots obscurs et une brume qui parfois paraît éternelle. Une ville sert de paravent à une autre ville, sitôt que l’on s’éloigne des voies d’eau pour ne cheminer que par les ruelles et les cours humides.

Salons XVIII°s du Florian. Un temps arrêté sur l’élégance.
Jamais je n’exprimerai assez ma reconnaissance à Hugo Pratt, qui fut mon premier guide dans le labyrinthe vénitien, et dont je relis toujours avec profit la Fable de Venise, son parcours initiatique et secret au-delà de la vitrine banalisée de la place Saint-Marc. Je me souviens d’une soirée, là encore avec mon fils cadet, dans ce repaire du monde trés particulier de Corto Maltese qu’est le petit restaurant A la Rivetta, où nous découvrîmes avec délice les spaghetti à l’ancre de seiche, avant, dans l’humidité noire des passages, seuls vivants passant au travers des fantômes de la gloire évaporée d’une ville au bord du monde, de mettre nos pas dans ceux de Corto pour rejoindre en trois heures de marche notre auberge prés de Cannaregio.
Nous sortons du Florian, la ville nous attend, cette nuit pas question de dormir, des silhouettes diffuses et instables nous guident vers le Grand Canal, bientôt nos pas résonnent seuls sous des arcades soutenant la nuit près de la Pescheria. Mon gamin et moi nous perdons avec joie dans cette obscurité où se devinent des églises somptueuses et d’où surgissent de la pénombre et de nos souvenirs les visages masqués de Casanova, de Goldoni et de Sollers…
Saintes, 10 Novembre 2017.

Dans les pas de Corto…
PHOTO HAUT: Grand Canal, hiver…

Laisser un commentaire