Un jour j’étais roi… partie 2

 

Tout le monde me croyait en fuite alors que j’errais sous les fenêtres de mon ancien palais, j’arpentais les rues de mon royaume sans jamais avoir le droit d’y entrer, sans jamais pouvoir y retourner. Je restais le fantôme invisible que tout le monde avait déjà oublié. Personne à hanter puisque déjà oublié de tous. J’avais entendu si longtemps des sirènes me chanter que j’étais admirable et admiré, que j’étais génie et génial, que j’étais l’homme alors que je n’étais déjà plus rien. J’avais voulu rester humble et ne pas croire le chant des mauvais augures et, avec le temps, à force, je m’étais pris au jeu et, au moment où les défenses se baissèrent, le coup de grâce tomba. Le fil toucha la nuque et d’un coup net emporta les dernières espérances d’un monde meilleur que je croyais réel. J’entendais monter les rires et les blagues sur mon compte, je voyais encore, pourtant, mon sang couler et se répandre sur le billot. Je me savais déjà parti mais j’étais toujours là, comme quand j’étais roi, comme quand les océans s’ouvraient à mon passage, ou que les montagnes me pressaient de les saisir et de les embrasser à pleine bouche, comme quand je visitais les forêts sombres à la recherche des plaisirs perdus et qu’elles sont maintenant rasées par les ordres d’un autre. Je voyais encore mes palais, mes mondes, mes châteaux s’effondrer. Les fondations rompre parce qu’elles n’étaient que de sable, de paille et de glaces fondant sous les canicules des ardents désirs extérieurs. J’étais loin désormais. Dans d’autres vies, dans de vagues souvenirs de livres d’histoire que personne ne lit jamais. Je n’étais même pas le nom d’une ruelle malfamée d’un village oublié. J’étais le néant des vies passées. Tout le monde que je m’étais efforcé à bâtir, reposait sur des sables mouvants et j’étais avalé par les antres de la terre. Mon passage était fini et il n’avait rien de mémorable. Il s’était rompu quand je commençais à prendre la mesure du rôle.

Les étoiles scintillaient, la lune éclairait le monde, les vagues faisaient une musique douce et calme quand j’étais roi. Aujourd’hui, les étoiles se cachent derrière les nuages, la lune ne répond plus au soleil et la mer est démontée ou trop calme mais ne chante plus. Seuls les remplaçants se gaussent et se repaissent dans des banquets orgiaques pendant que je regarde les ampoules griller une à une et les plaintes tomber autant que les masques.

Je devais diriger le monde de mes rêves et je n’étais plus qu’un observateur lointain et oublié d’une décadence prévue depuis trop longtemps. Le roi est mort mais il n’y a pas de vive le roi. Seuls les mauvais souvenirs, les mauvaises actions, les mauvais jours restent en mémoire et tournent en boucle. J’étais le banni et on me cherchait pour m’exiler, pour démembrer ce qu’il restait de mon corps pour l’exposer aux yeux de mon monde pour qu’il constate ma chute, pour qu’il reparte vers de nouvelles aventures en sachant que le pire est à venir. Je ne serai plus là pour le protéger, pour le chérir, pour l’aimer. Je l’aimais désormais autant qu’il m’aimait, d’un dégoût profond, d’une indifférence crasse, d’un mépris brûlant. Il m’avait banni, il m’avait réduit au silence, à la mendicité, il m’avait oublié. Je prenais la route du pèlerinage en laissant derrière moi la pluie, les nuages sombres, les nuits sans lune et ces villes faussement agréables. Je laissais derrière moi ces chants faussement poétique, ces textes faussement littéraires, ces films faussement intelligents. Je sortais du monde des plaintes pour entrer dans le monde du vrai monde. Et pour des raisons que je ne saurais plus expliquer si ce n’est par l’absence de ma tête, je commençais à ressentir un soulagement dans cet oubli, dans cette haine muette. Comme si, enfin, j’étais libéré de cette fonction qui n’était pas moi, de cette charge que je n’avais pas voulu. Je n’étais pas l’homme, je n’étais qu’un parmi la multitude et j’étais déjà remplacé par l’un parce que je n’avis rien d’unique. Tout avait explosé, tout avait volé en éclat, les portes, les fenêtres, les murs, les souvenirs, les rêves, les désirs, les illusions. Tout était en miettes et à reconstruire, ailleurs, avec d’autres et je n’avais plus que mon baluchon et un mélange de parfums bons marchés sur le corps laissé par des rencontres de quelques heures. Je m’étais vendu aux plus offrantes. Contre un corps nu, même sans atours, mais juste pour noyer dans le stupre, les dernières illusions d’un monde en décomposition, contre une bouteille de mauvaise liqueur, je m’étais donné et je ne le regrettais même plus. Il n’y avait pas de retour en arrière et plus personne ne savait qui j’étais

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