Un jour j’étais roi … partie 1

Les pavés des rues, de mes rues, scintillaient sous la lumière de la lune qui se reflétait dans les larmes que le ciel avait jetées sur le monde. Le sang avait coulé à flots mais les cieux avaient, dans leur mansuétude, décidé de nettoyer et de purger le monde de cette engeance révolutionnaire. Ils avaient crié des jours durant que j’avais trompé le monde, que j’avais trahi les dieux et ma lignée et ils hurlaient mon nom comme une insulte et ils me maudissaient sans rien savoir de moi, sans rien connaitre de ce que j’étais et de ce que j’avais voulu. Je m’étais grimé, caché en gueux, en mendiant, en damné de la terre, moi qui avais été béni des dieux et des hommes. J’avais bu de l’eau croupie et mangé les restes des poubelles des pauvres. J’avais été chassé comme un moins que rien, un pire que tout, de mon palais d’argent et d’ambre. J’étais le maître du monde et, en quelques phrases, j’étais devenu l’homme à abattre. En quelques jours, j’étais devenu le banni, l’oublié, le pestiféré. Ma chute avait été plus rapide que toutes les illusions perdues de mon peuple. Je n’étais plus rien alors que j’avais cru être tout. J’étais le vide alors que j’avais été le trop plein illusoire. Les murs s’étaient effondrés, les privilèges avaient sombré. J’étais oublié, ignoré, moqué, raillé… Je n’étais plus rien.
Les choses devaient être immuables. Il en était ainsi. Les dieux l’avaient décidé, l’avaient écrit. J’étais roi et seule la mort avait du pouvoir sur moi. Et puis, un imposteur m’avait déjà remplacé. Il avait pris ma place à coups de belles paroles et de faux semblants. Il avait fait croire à des sentiments qu’il n’aura jamais parce que personne n’aimait ces forêts sombres, ces montagnes enneigées, ces gouffres profonds, ces vagues déconstruites davantage que moi et personne ne saurait jamais le faire mieux que moi. J’avais pris tout l’amour de l’univers pour ce monde, qui était le mien. Il ne restait nulle part la moindre parcelle de désir pour ces collines de pâture, pour ces crevasses inconnues. Moi seul pouvais aimer ce monde à ce point et pourtant, j’entendais les cloches de toutes les cathédrales sonner, sans cesse, la gloire de ma chute. J’étais tombé, renversé par un imposteur et mon monde avait consenti à se faire tromper alors que personne ne pourrait jamais l’aimer comme je l’avais fait et que personne ne pourrait souffrir comme je l’avais accepté.
J’avais noyé mon chagrin dans tous les vieux rades des ports et dans toutes les couches de toutes ces femmes qui ne m’aimaient pas et qui ne m’aimeraient jamais. J’avais visité des lits brinquebalants et des corps décatis. J’avais partagé ma détresse dans la nudité et le stupre avec ce qu’il restait de dignité à ce monde. Toutes celles qui avaient dit oui, pour de l’argent que je n’avais plus ou pas, recevaient le seul trésor qu’il me restait. Il ne me restait que le temps et je n’avais rien d’autre que ma compagnie à offrir. J’avais bu, j’avais visité les paradis artificiels que j’avais toujours voulu ignorer. Je découvrais le monde que je gouvernais. Et tous les matins ou les soirs, je me réveillais seul, perdu dans une ruelle sans nom, au milieu des excréments, de la pluie et des souillures. Je traînais là où on m’avait laissé. J’étais déchu, collé contre les murs sales de mes anciennes villes par les rafales de balles que je ne voyais pas venir. J’avais été roi et ce souvenir me tenait debout en même temps qu’il me rongeait à l’intérieur. J’avais connu le paradis qui ne m’avait pas préparé aux enfers. Je continuais à tomber. Je brûlais et parfois le feu était si fort que j’oubliais même d’où il venait. Il était là comme une présence permanente, comme cet ami imaginaire qui accompagne les pèlerins que j’avais rejoints.
J’avais senti dans certains yeux, dans certains regards, quelques fois, de l’amour, du respect, parfois même de l’admiration mais ce n’était en réalité que les restes des vieux principes de l’ancien monde où il fallait faire croire que tout cela avait encore un sens et où l’autre avait de l’importance.

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