Et non, ce n’est pas grave d’avoir tort… Et non, ce n’est pas grave de s’apercevoir du ridicule d’une situation qu’on a, soi même, créée. Là où tout devient plus problématique, c’est lorsque l’on cherche à s’enferrer et s’enfermer dans cette erreur, en considérant que plus, on sera ridicule et mieux cela passera. Certes, on le voit tous les jours, plus le mensonge est gros et plus l’opinion publique l’accepte sans trop chercher, toutefois, la simple persuasion ne suffit pas à rivaliser avec l’armada lourde constituée par les médias de masse. Ainsi, vouloir se poser en juge, critique, moraliste sur certains points, tout en se montrant aussi délétère que les personnes pointées du doigt sur d’autres sujets, constitue un paradoxe étrange. Il est interdit de se moquer de certaines catégories de personnes mais il est de bon ton et de bonne facture de juger, critiquer et condamner d’autres catégories. Il ne faut pas se moquer du handicap physique toutefois, les personnes illettrées ou dys peuvent, elles, être raillées sans autre forme de procès. Il ne faut pas critiquer les pratiquants mais honnir les athées, ça on peut. Il faut préserver la sensibilité des LGBT vegan mais on peut insulter les pauvres vieux hétéros carnivores parce que ça, c’est plutôt bien vu désormais. Encore une fois, la police de la pensée décide et juge des éléments sur lesquels nous devons rire et des éléments sur lesquels nous pouvons rire. Le véritable problème, en réalité, est que, chaque jour, nous devons faire attention à la moindre de nos paroles et au moindre de nos gestes parce que Big Brother de la morale is watching us in the eye.
Alors non, je ne vais pas ergoter ici sur ces milliers de personnes qui se sont précipitées pour exprimer un dernier hommage à Johnny. Je n’étais pas fan, ni de l’oeuvre, ni de l’homme, mais des milliers de gens se sont reconnus en lui, ont été touchés par lui et son oeuvre, et même si je ne comprends pas forcément le fanatisme, je ne me vois pas juger l’affection que les gens lui portait. Et non, je ne vais pas jouer les pères la morale en disant que ces fans se sont bougés le cul pour pleurer l’idole défunte mais sont restés dans leur canapé pendant que d’autres luttaient contre les lois macroniennes (mains sur le cœur toussa toussa). Je ne le ferai pas parce que premièrement, je n’en sais rien et il est fort possible et même probable que certains arpentaient les rues parisiennes pour les deux types de cortège. Johnny était un chanteur populaire et il est de bon ton de se moquer de son public parce que justement, il est populaire donc il a le droit d’être syndiqué, opposant, militant etc et de revendiquer dans les bars du commerce, au balto ou dans les rues… et deuxièmement parce que certains, apparemment de moins en moins nombreux chaque jour, mais quand même, apprécient, ou au moins soutiennent, la politique menée par ce gouvernement. Enfin, troisièmement, parce que chacun est libre de faire ce qu’il veut et que pour certains, le recueillement sur la dépouille du chanteur est plus importante, plus vive, plus urgente, peut être même plus vitale, que la défense de certains droits sociaux ou professionnels qui demeurent, finalement, assez abstraits pour la plupart.
Il est donc interdit de se moquer des nains, des musulmans, des juifs et d’autres mais il est quasiment obligatoire de conchier les illettrés, les alcooliques, les fans de Johnny (et ce ne sont pas forcément les mêmes personnes) parce qu’ils sont la représentation caricaturale du beauf. Une des rares personnes pour qui j’ai artistiquement un profond respect, à savoir Philippe Caubère, est un grand fan de Johnny, depuis toujours. Il est également extrêmement réac sur certains points et extrêmement communiste ou avant gardiste sur d’autres. Il se moque, dans ses spectacles cultes, de tous les travers et les défauts de l’homme, tous. Il est donc l’ennemi public de cette bien pensance qui commence vraiment à me courir, et pourtant, pas un critique, pas un spectateur, n’aurait l’idée de considérer que les spectacles de Caubère ne sont pas des spectacles exigeants, populaires, drôles, tristes, touchants, émouvants. On peut donc être fan de Johnny et mener une réflexion, être moqueur sur les conduites physiques de certains et être spirituel et exigeant, faire partie du système, être le système et être critique et lucide sur ce système. On peut être un défenseur des droits sociaux et assister aux obsèques de Johnny.
Encore une fois et pour la dernière fois, je revendique la possibilité que je m’octroie de rire de tout ce que le monde offre comme possibilité et si cela doit faire de moi un facho, un réac, un révolutionnaire ou un révolté, un bouffon ou un opposant, j’en accepte l’augure parce que, au final, je serai moi et non l’image lisse et bien pensante suggérée par certains censeurs qui veulent nous interdire de rire à gorge déployée sur la meilleure scène du Loup de wall street mais qui se permettent de critiquer les honnêtes gens parce qu’ils n’ont pas eu les capacités, les opportunités ou les chances d’être sur le haut de la pile, et que à la fin, ils se retrouvent, sous la pluie, sur les champs, pour pleurer leur jeunesse et leur idole qui partent en même temps.