Les torches enflammées éclairaient bruyamment les rues désertes et sombres des méandres mémoriels. Les pavés humides, et maladroitement encastrés sur les parois inégales de mon cerveau vicié, semblaient assez inconfortables, pour empêcher toute progression logique ainsi que tout raisonnement valable. Cette grande fatigue, qui devenait impossibilité cognitive à construire un cheminement cohérent, et cette lassitude face à l’argumentation inutile, face à la connerie ambiante, devenait une marque de fabrique. Je trouvais, enfin, un sens dans la déambulation, qui consistait à ne définitivement plus avoir de parcours fléché puisque toutes les directions mèneraient au même endroit, au fond du gouffre.
L’errance dans les impasses de ce qui constituait un véritable réseau imbriqué de chemins et de coursives sur les sols démontés où résonnaient les chutes de mes pas lourds n’apportait finalement même plus la satisfaction de soulager les maux de boite crânienne déguindée. Se perdre dans des voies que de toute façon, je ne connais pas et continuer à s’enfoncer dans les forêts sombres perdues au milieu des deux grands canaux doux et limpides. Toujours se perdre plus profondément et autant que possible dans la touffeur des bois amazoniens ou du massif central. Ne pas choisir le lieu de la perte mais simplement se perdre et toujours s’émerveiller de transcendance et de l’apothéose que constitue l’entrée dans ce monde nouveau et si dense. Toute une vie de luttes, des plus nobles au plus futiles, offerte, soudain, à un inconnu égaré et hagard, qui ne fera, au final, que souiller ces trésors avec ses manières de percherons et de marcheurs acariâtres. Et peut être même qu’il recommencera, ce sagouin, parce que le bonheur obtenu une fois cherche toujours à réitérer son effet.
La lune, bien pleine, des nuits fragiles d’été et bien ronde, des solstices saisonniers, accompagnent mes désespérances et mes trous noirs vers un ailleurs qui n’existent pas parce que je n’ai pas pris le temps de le construire. Alors je regardais, hébété, saoul et fiévreux, les monts sublimes entourant les forêts sombres et longeant les rives calmes et limpides des canaux suaves et doucereux de la peau sucrée. Le peu de luminosité dans ces dédales perdus et laborieux offert par la douceur lunaire ne pouvait cacher la douce odeur de miel et de stupre des bois endormis, des fougères cachées et des troncs posés sans ordre ni but, juste se dressant vers le ciel immense ou couchés sur la plaine soyeuse. Perdre mes sens dans l’épreuve du combat contre l’inconnu, contre la découverte de merveilles cachées à l’œil du passant sans histoires, ni intérêt, et s’arrêter sur chaque parcelle de bonheur qu’offre ces terres inconnues.