Chaque départ amenait cette même fièvre, cette même fureur. Je n’arrivais pas à m’habituer et l’impression toujours vivace et vivante qu’une partie de moi restait sur place. Laisser derrière soi des incertitudes, des fractures, des blessures et des joies. Il n’y a plus rien d’acquis mais rien non plus de perdu sauf ce que l’on a décidé de perdre. C’est dans ces lieux où se croisent des visages appelés à immédiatement disparaître que se construit une part de la futilité existentielle. Le plus souvent, il n’y a aucune indication de directions ou d’arrêts. Il n’y a qu’un passage dans un lieu commun vers un autre monde ignoré à jamais. Toutes ces vies qu’on ne vivra pas et qui prennent des visages et des sens différents. Toutes ces énergies qui courent d’un lieu à un autre, en cherchant le sens que je ne trouve pas pour moi. Je vois que, en réalité, finalement, il y a davantage de personnes comme moi que je ne le croyais. L’idée de trouver et de donner un sens à un parcours de vie devient la quête la mieux partagée par le plus grand nombre. Tous ces questionnements circulaires qui finalement apparaissent comme collectifs, partagés par tous et pourtant je ne suis qu’un. Un nombre dans la masse qui fait foule. Un. C’est aussi cette solitude dans la foule qui fait que je me détermine désormais comme un égoïste contrarié. Il y a cette obligation d’accepter ou de supporter les autres et pourtant, il n’y a plus guère que moi qui compte. Pourtant, malgré cette évidence partagée, malgré cette nécessité impérieuse, malgré cette obligation vitale, je ne parviens pas à me résoudre à agir comme tel. Peut-être qu’il me faudrait un soutien ou un sauvetage. Peut -être une béquille qui résiste aux tempêtes et aux naufrages. De toute façon, je me suis déjà épuisé à me débattre seul contre moi-même et forcément plus les temps avancent et plus les forces de se combattre déclinent. Le combat n’est pas terminé mais il est déjà perdu. C’est dans la résistance uniquement que se construit le reste d’humanité et de vie qui fait que le monde continue de tourner aussi vite d’un sens et si lentement de l’autre. Alors haut les cœurs et que tout continue puisque rien ne se termine réellement.