Pensées et discussions à l’aire de la nationale (66) ou dialogue de l’auto fou

 

J’avais signé ma décharge pour sortir, au plus vite, de l’ennui infernal hospitalier. Je voulais regoûter à la liberté que je m’étais octroyé. Je devais sortir de cet univers aseptisé où tout est surveillé, tout est géré, tout est hygiène et froid. Il me fallait retrouver ma bagnole, mon aire, ma guitare et je ne savais pas trop ni où j’étais, ni où je devais aller. Je savais juste qu’il me fallait rejoindre la mer et je ne pus m’empêcher de sourire en pensant que j’avais bien fait de m’écouter, pour une fois. Suivre la mer allait être mon salut, ça l’était depuis le début de ce voyage finalement.

Je sentais toujours un poids, une tenaille autour de mon cœur. J’avais eu une sorte de fracture du myocarde, une casse du moteur. J’étais marqué, affaibli mais, bizarrement,  je me sentais tellement plus léger, comme si la chirurgie avait ôté les éléments inutiles de ma vie. Au début, il y a la sensation d’une gêne, peut être même un manque et puis, on s’habitue, on vit avec, on revit avec ou plutôt sans. On se lève, on marche, on regarde le ciel. On attrape tous les sourires des infirmières ou des aides-soignantes. On attrape tout ce qui peut être positif. On découvre les joies des programmes télé en journée, les petits bonheurs des plateaux repas infâmes et on se dit que, finalement, c’est tellement mieux de vivre, même en laissant derrière soi une partie, un bout de ce qu’on ne veut plus.

Il fait tellement beau dans toutes les émissions de télé, il y a tant de sourires et de joie sur les ondes que le monde doit être bien plus beau que ce que je vis. Plusieurs fois, seul, alité, je m’étais dit que je devrais la retrouver ; que mes rêves en dépendaient ; que j’avais l’impression de sentir les battements de son cœur remplacer les miens. Je me disais que je la chercherais partout et qu’il n’y aurait même pas de fin à cette quête et puis, je revenais dans le monde des vivants et je voyais que ce genre de sentiments n’existaient pas pour moi et, de toute façon, elle n’avait aucune idée de ce qu’aimer pouvait signifier, alors je regardais les fissures du plafond de ma chambre et j’essayais de les reboucher à la force de l’esprit. Encore une utopie.

C’est le jour où tu tombes nez à nez avec un miroir et que tu perds le combat, que tu te dis qu’il faut que tout cela cesse. Depuis des mois, j’avais essayé de ne pas sombrer et je m’étais détruit à essayer de survivre mais l’image que je recevais de moi désormais, m’agressait littéralement. Je n’aimais pas cet inconnu que j’étais devenu pour moi. J’avais regardé au plus profond de moi et j’étais tombé. Il fallait se relever encore une fois et recommencer.

Et les rires forcés des présentateurs télé, les blagues éculées, depuis 30 ans, de nouveaux pseudos humoristes qui nous rejouent les émissions déjà navrantes de notre enfance, sur les réseaux, et qu’on like en désespoir de son propre humour et les leçons de morale des intellectuels perchés sur des piédestaux qui ressemblent davantage à des palettes peintes ridicules, finissent d’achever le besoin de changer.

Il y avait dans tous ces discours convenus une idée qui ressemblait à une construction qui m’était hostile. L’idée que l’autre savait mieux que moi ce qui me convient, ce qu’il me fallait et même ce que je voulais alors que la seule chose que je voulais justement, c’était qu’on m’attrape, qu’on m’enlace, juste qu’on m’aime, une fois.

J’étais résolu à ne plus vivre ce que j’avais vécu. Cet océan de morale dans lequel j’avais été plongé et qui m’obligeait à vivre selon les envies de l’autre, selon son regard. Chaque instant ne faisait que creuser le fossé entre la vie rêvée des gens, ce monde bleu pastel, où tout est beau, où tout va bien et la vie telle que je continuais de la vivre. Toutes les belles notions qui m’avaient sauté au visage et qui consistaient à décider ce que je devais croire, faire, penser, vivre, me devenaient totalement insupportables.

Il fallait que je sorte, que je reprenne ma route et, malgré le corps marqué, blessé, je voulais encore qu’on me prenne et qu’on me donne. Je savais que j’allais errer encore longtemps dans les plaines de la mélancolie, dans les océans de cicatrices béantes, dans les champs des blessures secrètes mais je devais suivre mon chemin.

Laisser un commentaire