
Et la lune et les étoiles souriaient enfin à nouveau. Le vent balayait les dernières illusions qui pouvaient encore subsister sur la force et la véracité des sentiments. Les remous de l’océan récupéraient les dernières miettes des espoirs de l’autre vie. Soudain, le monde semblait arrêté. Au loin, pourtant, les sirènes d’un bateau retentissaient, mais même les hurlements, au beau milieu de la nuit, d’un retour de pêche ne pouvaient altérer la magie de cet instant. La nuit de la rédemption, du véritable début de ce qui devait s’appeler une vie, prenait forme après les kilomètres avalés et recrachés. Ce soir, elle dégageait une beauté jamais vue. Une force fragile inconnue. Etre dans ses bras était, à la fois, doux et fort, un renouveau, une libération, des murs de prison qui s’effritent et s’effondrent… Un phare dans la nuit, une étoile dans la laideur, un ange dans le monde… Cette seconde d’éternité aurait duré deux vies entières. Je la serrai plus fort encore, collé à elle, sentant son cœur frapper ma poitrine. Je tombais comme les étoiles dans le ciel et pourtant, je jurais à dieu que, désormais, je ne tomberais plus et même s’il n’entendait rien, j’étais décidé à relever la tête. J’avais besoin de moi pour trouver le chemin, besoin de jouer une nouvelle symphonie. Tous les souvenirs ressemblaient à des océans de poison et j’avais à nouveau besoin de me sentir enfin chez moi quelque part. J’étais en manque de moi plus que de toute autre chose. Plus que de sentiments usurpés, plus que de mensonges et de trahisons, j’avais besoin de moi. A travers le pare brise, éclairé par la lune, je vis ce qui ressemblait vaguement à moi. Porté par la musique, caché par elle, je ne voyais qu’une forme vague et mal définie, un souvenir de moi. J’avais réussi à m’éviter pendant longtemps la vision de moi. Je souris. J’étais de l’autre côté. Je ne reconnaissais pas ce corps dans lequel je m’étais débattu pour survivre à ma fin du monde. Les blessures l’avaient détruit. Je continuais à danser pour moi, pour James, pour la lune et pour la vie à venir. Depuis longtemps, la musique était morte mais elle résonnait en moi. Si loin et en fait si proche de moi…
Elle restait là, portée par ce souffle venu d’ailleurs. Je continuais de saigner, je saignais à nouveau. Un truc plus fort que moi qui me disait que le temps de se battre, le temps de pleurer, le temps de se cacher était mort et qu’il fallait que je revienne vers moi, plus proche encore. Je m’étais éloigné, embarqué par des courants contraires, des tempêtes et des naufrages. Je m’étais manqué. Dans nos têtes, un orchestre philarmonique gigantesque jouait à tue tête et crescendo et chaque mouvement de nos corps brisait davantage nos chaines. Le tourbillon de nos sens nous entrainait ailleurs, plus haut vers nous. Son parfum était enivrant, sa peau douce et chaude, sa présence rassurante et apaisante. Elle était le remède à mes maux et j’avais encore une fois le sentiment de ne servir à rien puisque je ne lui servais à rien. Je ne l’avais pas rendue heureuse. J’avais juste noyé le poison en lui envoyant ma propre souffrance à la face. J’avais exacerbé mon égoïsme. J’étais devenu ce que je détestais chez le fantôme idéalisé de ma vie d’avant. Et je m’en voulais. Je décollais mon visage de son étreinte. Je voulais la voir. J’étais saoul de meilleur whisky que d’habitude, enivré par son parfum, bousculé par la confusion de tous ces sentiments. Son visage était défait par les larmes. Quelques cheveux étaient collés sur sa joue. Le rimel avait coulé, le rouge à lèvres s’était étalé sur mon épaule et laissait une trace au coin de ses lèvres. Son souffle était court, trop rapide. Dans les films, les nouveaux amants s’embrassent et se découvrent enfin en se mélangeant sur le capot. Elle s’alluma une cigarette. Je pris le reste de mauvais whisky dans la bouteille qui gisait dans le coffre ouvert. D’un geste dont elles seules ont le secret, elle enfila un pull et décrocha la robe. Elle n’était plus vêtue que d’un pull qui était le mien. Trop grand pour sa fragilité, trop large pour sa finesse, trop vieux pour son renouveau mais tellement à sa place sur elle. Elle s’assit sur le capot, comme à notre habitude. Je m’appuyai sur le côté.
– Si demain tout s’arrête là, au moins, il restera ça
– Demain, c’est loin
Le whisky me tenait chaud. Je restais nu. J’avais peur du silence et longtemps, j’avais cherché à le combler. Avec le temps, on m’avait appris à me taire puisque chaque mot pouvait devenir une lutte, un combat, une alerte. Il m’avait fallu peser tous les mots, tout le temps, et c’est peut être pour cela que je n’arrivais plus à écrire ni à dire.
– Tu te tais maintenant. Y a pas longtemps tu parlais trop.
– Y a pas longtemps, j’avais des trucs à dire. Maintenant, c’est passé.
– Je vais pouvoir parler alors
– Tu crois que je vais t’écouter ?
– Non… Mais tu risques de m’entendre. C’est déjà pas mal. Ça changera de la plupart des gens.
– Ça sera bien la première fois que je serais à part pour quelque chose.
– Rassure-toi, ce n’est pas forcément positif.
– Me concernant, je ne me faisais pas trop d’illusions.
– T’as le droit de te rhabiller maintenant.
– Je sais…