
Telle une valse endiablée, les éléments autour semblaient emprisonnés dans un tourbillon effréné. Les violons avaient remplacé les crissements de la guitare sèche. Une petite bise légère s’était levée. Malgré ma nudité, je ne pouvais avoir froid. La présence de James. Ce qu’elle était capable de me donner, en cet instant, en amour, en confiance, en attention, en prévenance, était totalement inédit. Inconnu. Irréel. Je tombais follement amoureux de ce moment d’éternité. C’était ce que j’avais toujours cherché et ça ne se trouvait pas dans l’amour, ni dans les livres. Cela n’existait que dans la sincérité, dans la magie du ressenti. Tous les rêves d’immensité convergeaient enfin vers ce moment. Elle était là pour diffuser cette force venue d’ailleurs qui nettoyait toutes mes croyances, désinfectait mes blessures. Toutes mes souffrances passées brûlaient sous le feu de son étreinte.
J’avais cherché à travers toutes les fenêtres sales posées face à moi, le chemin et, finalement, il n’avait fallu que la vérité, enfin. Je l’avais cherchée dans tant de lits étrangers, tant de couches oubliées, tant de lieux sans espoir que maintenant, seul ce sentiment pouvait remplir les espaces vides. Ils avaient pris toute la place, ils avaient été creusés, élargis, par les attaques répétées et multiples. Dans cette ronde, tout se remplissait enfin. Les pages se blanchissaient à la vitesse de la musique, au rythme de nos larmes confondues. Toute l’encre des promesses d’éternité fausses et inutiles disparaissait. Je ne pouvais pas obliger à m’aimer, je ne pouvais pas faire qu’on m’aime mais je pouvais désormais vivre sans. Je ne regrettais plus les jours passés, même si je me mentais à moi-même. Un sursaut de mes mémoires cherchait encore le visage disparu mais elle n’apparaissait plus dans les étoiles, elle n’était plus en filigrane sur tous les murs des villes, sur tous les nuages, sur tous les arbres. Elle n’était plus le nom que j’entendais partout et qui résonnait avec ce tremblement dans le ventre, ce rocher dans l’estomac qui prend toute la place. Elle n’était plus la pièce manquante. Elle n’était plus.
Je sentais la paix m’envahir dans les bras d’une femme dont je ne connaissais même pas le prénom, alors que j’étais nu et sans obligation sexuelle. Longtemps, il avait fallu répondre aux sollicitations, aux usages, à ce à quoi je servais. Etre l’objet. J’avais cru être autre chose, parfois, trop souvent et finalement, je n’avais été que ça mais soudain, ça n’existait pas, ça n’était plus. La danse de James, sur cette plage, la nuit, dans la chaleur moite d’un été caniculaire purgeait enfin mon âme. Je m’enivrai désormais de son parfum dans les cheveux.
J’avais pleuré, j’avais bu, j’avais tourné. Les mondes se superposaient. Elle avait pleuré, elle avait bu, elle avait tourné. Ses mains sur ma peau réveillaient mon corps. Je sortais de la chrysalide et finalement, ce passage n’était pas si douloureux. J’avais envie de lui demander son prénom, j’avais envie de savoir qui elle était et puis, cette envie briserait le charme. Elle était là pour me sauver, comme sans doute, j’étais là pour la sauver. Je ne connaissais pas son prénom, elle ne connaissait pas le mien parce que cela ne servait à rien dans notre mission. Je ne connaissais pas son histoire parce que c’était inutile. Elle savait juste que tous les mots que j’avais entendus, je les avais crus, je les avais pris pour moi et c’était bien suffisant. Nous avions simplement besoin de nous-mêmes, de l’autre et du point de départ du reste de nos vies. Je ne savais pas ce que j’étais sans l’autre, sans elle mais maintenant, j’étais le danseur nu de la dune, elle était l’ange rédempteur et je savais que je ne pourrais pas me faire aimer.
Je savais maintenant que je n’étais qu’un spectateur de plus dans un concert géant qu’elle donnait, en fait, pour tous les autres et pas seulement pour moi, alors que je prenais tous ses mots comme des déclarations uniques. Les lumières éteintes, les instruments silencieux, il ne restait que ce mec seul, dansant pour lui-même, au milieu d’un univers bien trop grand, croyant qu’il s’agissait d’un concert privé, pour lui seul, alors qu’il partageait déjà toutes les émotions avec trop de gens. Et que finalement, la chanteuse n’a jamais remarqué.
Il était venu le temps de faire le solo, de jouer pour soi et seulement pour l’autre qui voudrait bien de cette chanson et la garder secrètement, jalousement, juste pour celle qui la voudrait et danser pour soi, pour elle, avec elle. Celle qui avait envie d’être là et non plus celle qui y était parce que, ici ou ailleurs, après tout…
Peut être qu’il aurait fallu que j’écrive tous les tourments pour que tout cela disparaisse, pour purger, pour évacuer mais je n’ai pas trouvé les mots pour montrer la déchirure, pour montrer l’éclatement, l’explosion à l’intérieur. Tout était trop à l’intérieur. Évacuer le trop plein de larmes et de souffrance par des mots et comme je ne pouvais parler à personne, peut être que les écrire m’aurait aidé mais aucun ne semblait avoir la force, la détresse de ce que j’aurais voulu exprimer. J’étais resté les yeux sur la route plutôt que sur le papier. Les yeux dans le retro pour éviter d’avancer et de coucher tout ce que j’aurai voulu dire ou crier. Il faut du talent pour exprimer ce que l’on ressent. Il faut du génie pour partager ses sentiments. Je ne suis qu’un vagabond en voiture. Alors j’ai roulé. Sans dormir, sans réfléchir, pour fuir, pour accepter de ne plus avoir d’espoir et d’admettre. J’ai roulé. J’avais besoin qu’on me serre, qu’on me prenne, qu’on me montre que j’existe, enfin. J’avais cru à des éternités, à des mondes sans fin mais les croyances ne sont pas éternelles.