
Ses yeux n’avaient pas lâché les miens et ma nudité ne semblait pas lui poser problème. J’eus même l’espoir qu’elle ne s’en souciait pas. J’étais trempé, propre mais nu. Je ne lâchais pas la bouteille, conscient qu’elle me donnait une constance et un alibi pour ne pas entreprendre quoique ce soit. Elle se rapprocha encore, alors que nous étions déjà au-delà de ce que je supportais habituellement. Ses lèvres touchaient presque les miennes.
– Danse avec moi.
– Je suis quand même un peu à poil, là.
– Danse. Je veux danser avec toi.
Elle posa ses mains sur mes épaules. La bouteille dans la main gauche, retenir la serviette pour cacher ce qui pouvait encore l’être avec la droite, je ne pouvais pas vraiment poser mes mains sur elle. Je ne savais plus réellement si c’était une bonne chose ou pas. Ses mains se serrèrent derrière ma tête et elle posa la sienne sur mon épaule. J’avais tous les effluves de ses cheveux qui me sautaient au visage. Nous bougions à peine. La guitare sèche et la voix du chanteur enveloppaient nos corps d’un fin tissu de douceur ouatée. Seule la lune nous éclairait mais je sentais James s’abandonner pour la première fois, vraiment. Elle lâchait prise alors que je restais désespérément raide. Je ne savais pas à quoi elle voulait jouer et cette situation me stressait. Il fallait que je sois, enfin, dans la situation. Derrière elle, je relevais la bouteille et but plusieurs gorgées, sans prendre conscience du compte, cul sec. Elle se saisit de la bouteille et en fit de même. Les yeux dans les yeux, je décidais de finir la bouteille afin d’accélérer le processus. Je lâchais la serviette et la bouteille vide sur le sable encore chaud.
Je m’autorisais à poser mes mains sur elle. Sa robe était tellement légère que je sentais la chaleur de sa peau sous le tissu. Les effets de l’alcool, la puissante douceur de son parfum m’enivraient déjà. Je sentais que je m’abandonnais enfin. Je posais ma joue sur ses cheveux pour profiter de son parfum, de sa chaleur et d’avoir, à nouveau, un corps près de moi. Les éléments tournaient en spirales au dessus de nos têtes. Les étoiles, les nuages, les images des passés morts, tout partait à vau l’eau, au dessus de nous, comme une tornade dont nous étions l’œil. Les éléments se retrouvaient prisonniers dans ses cheveux lâchés au vent. Elle voulait juste être dans des bras rassurants et il fallait que, pour une fois, je sois à la hauteur de la demande. Il fallait construire un moment rien qu’à nous, sans contraintes, sans personne. Juste nos deux fêlures qui se répondent et s’annulent à force de s’affronter. Juste un instant où l’un protège l’autre sans rien attendre en retour, juste ce moment où rien ne gêne.
Et je me disais que je ne voulais pas danser. Je voulais juste vivre ce moment comme si demain n’existait pas. M’enivrer d’elle jusqu’au matin et recommencer la vie là où je l’avais laissée. Je voulais voler, collé à elle, et laisser les cordes de la gratte me piéger et m’enserrer. Je devenais prisonnier de tout cela et j’en devenais accro. Ne plus regarder en bas, ne plus regarder derrière, s’accrocher aux branches et passer de l‘une à l’autre pour avancer. Et boire à nouveau. M’enivrer d’elle et de mauvais alcools pour tout oublier, pour vivre enfin comme si tout ce qu’il y avait avant, n’existait plus. Sous mes doigts, je sentais la peau de son dos dénudé. Elle était forcément douce, forcément chaude et je me disais que j’aurais même surement adoré la baiser parce qu’elle dégageait en cette nuit, tout ce qu’on attend, finalement, d’une femme. Douce et entreprenante, sage et totalement délurée, le chaud et le froid, mais je renforçais plutôt l’étreinte. J’avais besoin de sa présence pour renaître et je sentis dans sa façon de me tenir qu’elle attendait la même chose de moi.
La nuit était sombre.
La lune criait sa présence.
Nous avions posé nos ombres,
Et les restes de nos enfances.
J’ouvrais enfin les yeux.
Je voyais le monde que je fuyais
Autour de moi, tout tournait
Comme si ça allait mieux
Et malgré toutes les cicatrices,
Malgré toutes les blessures
Même au bord du précipice,
Même sous la torture,
Engagé dans les méandres
D’un monde condamné,
Je refuse de descendre
Et je ne vais pas me tuer.
Je suis saoul, enivré de toi
Je suis à bout, vidé de toi
Je garde les marques du passé
Mais je ne me suis pas tué
Je devine sous ses doigts
Que la vie revient
Je crois que cette fois,
J’aime ce que je deviens.
Et je prends le moment
Comme si demain n’existait pas
Et je prends le temps
Comme si hier n’existait pas
Je dois garder les yeux bien ouverts
Je dois me souvenir de ça
Me souvenir encore de toi
Comme avant gout de l’enfer
Et m’envoler plus haut
Comme si c’était la dernière fois
Et sortir plus fort, plus beau
Parce que tu ne seras plus là.
Je suis fou, totalement de toi,
Tu étais tout mais tu n’es plus là,
Et mortellement blessé
Je refuse, je ne me suis pas tué.
Je suis en dessous de tout, de toi
Tu es partout mais plus avec moi
Et même si je me sens écartelé,
Je ne me suis pas tué.
La voix du crooner résonnait encore plus fort. Les accords de guitare tapaient sur nos cœurs à vif. Nous ne bougions quasiment pas. Juste elle, dans mes bras, la tête posée sur mon épaule. Je regardais au dessus d’elle. La joue posée sur ses cheveux. Ma vue se brouilla. Je sentais ses larmes tomber sur ma peau et glisser le long de mon corps. Elle pleurait, plus encore que je ne le pouvais, plus encore que je ne l’avais fait. Les digues avaient cédé. Nous étions serrés, enlacés, encastrés et nous pleurions. Ensemble, enfin ensemble. En équilibre sur ce fil, au dessus du ravin, balayés par la tempête de nos cœurs, je la retenais de la chute autant qu’elle me retenait de la chute. J’avais voulu retenir mes larmes, j’avais encore voulu me montrer fort, solide, lui montrer qu’elle avait raison de se lâcher, entre mes bras, que j’étais là pour elle, imperturbable, inamovible mais mes yeux ne pouvaient plus rien retenir. Elle pleurait et je ne pouvais pas faire autre chose. Son corps s’abandonnait dans le mien. Son âme semblait se fondre à la mienne. Nos douleurs se confondaient en un déluge salvateur. J’avais besoin d’elle, j’avais eu besoin d’elle, et je compris, enfin, qu’elle aussi, avait eu besoin de moi pour exorciser, je ne sais quelle douleur et je ne voulais pas le savoir, finalement. J’avais été utile et cette sensation m’était plutôt inconnue jusqu’alors et j’aimais cette sensation. Elle m’avait sauvé la vie et j’avais envie de croire que j’avais fait pareil pour elle, même si ça n’était qu’inconscient, involontaire.
Dans ma tête, les idées s’enchaînaient. Les images qui brûlaient, la mémoire qui se nettoyait, une mise à blanc de toutes les données, vierge à nouveau, prêt pour une nouvelle vie. Ses larmes avaient nettoyé les écuries de ma vie. Et j’avais envie de croire que les miennes avaient purgé son existence. Nous avions été le nettoyeur de l’autre et nous restions plantés sur le sable, dans la nuit, à imaginer toutes nos blessures partir vers d’autres ailleurs. Et plus rien à foutre de toutes celles qui m’avaient piétiné, de la dernière qui avait fini au lance flammes les destructions précédentes, la reconstruction débutait. Au loin, des sirènes de pompiers hurlaient. La mer chantait son murmure répétitif. La peine dans la voix qui sortait de l’auto radio faisait écho à ce que nous laissions s’échapper de nous. Tout devenait libération. Je n’avais pas été aimé, elle n’avait pas aimé et ces deux peines conjuguées partaient rejoindre les étoiles portées par les larmes. Mon absolu ne trouvait pas d’écho en ce monde mais je ne pourrais jamais me résoudre à vivre l’amour comme une affection. Je n’avais pas envie d’être une tablette de chocolat, elle n’avait pas envie d’une tablette de chocolat. On cherchait mieux, on visait plus haut. On restait chacun dans sa solitude.
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