Pensées et discussions à l’aire de l’autoroute (48) ou dialogue de l’auto fou

Le sable se collait sur mes pieds. La remontée me semblait chaque fois plus difficile que la veille et cette fois, je ne connaissais pas la plage. Je n’avais pas mes repères. La remontée me sembla interminable et j’arrivais les cheveux secs à l’endroit où enfin je voyais la voiture. Je m’arrêtais et regardais face à moi. A sa place, assise sur le capot, James tirait sur sa cigarette. Les aspirations allumaient le bout rouge et éclairait une partie de son visage. Je ne la distinguais pas mais je savais que c’était elle. Je ne l’avais pas vu durant tout ce voyage. Elle était là et je ne me souvenais même plus comment elle était arrivée là. Elle faisait partie désormais de ma vie qui partait en lambeaux et qu’il allait falloir recomposer. J’hésitais à m’avancer. J’étais encore assez loin pour penser qu’elle ne m’avait pas vu et puis, je savais qu’elle ne serait pas choquée par la vue d’un homme nu, se cacher n’aurait pas de sens et je n’allais pas rester à poil indéfiniment.
J’hésitais cependant et chacun de mes pas était lent, mesuré. A mesure que j’approchais, j’entendais une musique monter et son visage devenait de plus en plus visible. Tenu par toutes ses leçons d’éducation, je me sentais mal à l’aise d’être ainsi. Je m’arrêtais et je me dis que le simple fait d’être gêné alors qu’elle m’avait vu me décomposer, qu’elle m’avait vu vraiment à nu, dépouillé, détruit montrerait que je n’étais pas sauvé et je me voulais vivant.
La musique devenait enveloppante à mesure que j’avançais. Comme si nous n’étions jamais revenus du château des songes, la ballade sirupeuse italienne résonnait. Entre ses jambes, trônait une bouteille de whisky, elle leva les yeux vers moi. Elle portait une robe légère rouge avec des points noirs que je n’avais jamais vue mais je ne la regardais pas. Je m’étais décidé à passer à côté d’elle, d’entrer dans la voiture et de m’habiller comme si tout était normal. C’était le meilleur moyen de montrer que tout allait bien. Je me retenais pour ne pas accélérer le pas, donner le change. Elle tendit alors vers moi la bouteille.
– Bois…
– Je vais, peut être, enfiler un truc avant
– Bois…
Je n’aurais pas le dernier mot, je le savais. Je m’approchais, je saisis la bouteille, et prit une rasade. C’était un whisky de bien meilleure qualité que ce que j’avais réussi à me procurer jusqu’à maintenant.
– Bois…
– Tu veux me saouler ou quoi?
Elle ne répondit pas. Elle se leva et se dressa face à moi.
– Bois…
Je remis le goulot de la bouteille sur mes lèvres. Elle leva la bouteille en soulevant le fond du bout de son index et de son majeur. Je bus ce que je pus mais le trop plein coula le long de mon menton. Je ne pouvais pas tout boire. L’italien de la chanson construisait son crescendo et elle était tout près de moi.

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