Pensées et discussions à l’aire de l’autoroute (47) ou dialogue de l’auto fou

J’avais récupéré d’improbables ouvrages dans les boites à livres de la place du marché. J’étais parti chercher de quoi manger et de quoi boire et en passant, je me suis dit que ce casier en forme de livre ouvert devait bien contenir quelques trésors. Trop souvent j’avais entendu des choix imposés sur ce que je devais lire, faire, écrire, penser. Au début, je m’évertuais à répondre aux attentes et puis, avec le temps, et voyant que cela ne me rapportait rien finalement, je décidais de faire le contraire. Par esprit de contradiction, j’avais refusé de lire Proust, j’avais refusé d’aimer celles qui m’auraient correspondu, pour me jeter à corps perdu dans des histoires mortes avant de naître, j’avais fui les amitiés. Je m’étais construit dans le refus de faire ce qu’on attendait de moi et chaque fois que les étoiles s’alignaient, je créais l’éclipse.
Le sable était chaud. Etre allongé, les pieds dans l’eau, était un plaisir simple mais tellement fort. Les petits plaisirs devenaient des festins tant ils avaient été rares. Il n’y avait personne sur la plage et je ne savais même pas où nous étions. J’avais vaguement repéré le nom d’un village improbable. James avait surement roulé longtemps et j’avais dormi encore plus longtemps. Nous devions être un jour de semaine, nous ne devions pas être en période de vacances scolaires. Les rues étaient vides, la plage encore plus.
James n’était nulle part et j’attaquais la lecture des livres gratuits. Plus j’avançais dans les pages et plus je comprenais pourquoi ils étaient offerts.
Malgré l’âge, les épreuves, la destruction, j’avais toujours l’impression qu’on s’adressait à moi comme à un enfant, comme si, toute ma vie, je resterais un enfant, un inférieur. Je me disais que je ne devais pas faire adulte. Ni physiquement, ni dans le comportement. Je pouvais m’endormir là. J’étais seul. Tout, autour de moi, avait pris la fuite. J’étais devenu une sorte de malédiction.
Sans que véritablement, je m’en rende compte, il faisait nuit. Encore une journée où ma seule nourriture fut du whisky chaud et je n’avais pas faim. Personne n’était venu. Il faisait nuit et comme d’habitude, je profitais de l’obscurité pour me laver dans l’eau de mer. J’avais de moins en moins de savon, il faudrait que j’essaie d’en retrouver un autre et je n’avais aucune nouvelle de James. Chaque soir, je trouvais l’eau plus froide que la veille et chaque soir, je m’efforçais quand même de rester propre. Chaque fois, c’était une sorte de renouveau, de purgation de tous mes crimes. J’avais peu d’occasion d’être nu et ce moment entre la lune, la mer et moi restait un privilège. Une fois habitué à la fraîcheur de l’eau, elle paraissait même agréable. J’aimais prendre mon temps. Je savais que l’eau de mer était déconseillée mais je n’avais pas le choix. J’étais libre de toutes les chaines. Rien ne me retenait plus à rien. Je n’avais que des tonnes de passés mais plus rien désormais ne m’y ramenait.
J’étais nu et je sortais de l’eau salée, rafraîchi, propre, abandonné. Marcher dans le sable encore chaud, nu, pour regagner la voiture avait un gout de liberté et de transgression savoureux. Chaque nuit, je remontais vers la voiture, les dunes artificielles qui protégeaient le littoral et chaque nuit, qu’il vente, qu’il pleuve, je le faisais nu parce que ça me donnait l’impression d’être encore vivant, d’être même encore un objet sexuel, d’avoir une existence corporelle.

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