Pensées et discussions à l’aire de l’autoroute (46) ou dialogue de l’auto fou

J’avais regardé les arbres défiler, les nuages traverser mon écran personnel. La pluie continuait de ruisseler le long de la vitre de la voiture.
Elle roulait sans se soucier de moi. Elle m’avait déjà oublié. Sa mission était accomplie, sans doute.
Les kilomètres s’enfilaient et m’éloignaient de là où j’aurais voulu mourir. Je serais mort entre ses cuisses, je serais mort dans sa crinière, je serais mort entre ses mains. Je mourrai ailleurs, plus loin.
Maintenant, la tragédie avait atteint son acmé et il fallait la transition, le calme après les tempêtes dans mon crane. Avant la fin, il restait quelques petites choses à vivre, même si ça ne ressemblait plus à ce que j’avais rêvé.
Je regardais les gerbes d’eau provoquées par la voiture, s’écraser sur le bas côté. Les éclaboussures frappaient les talus.
La nuit devenait mon allié parce que les jours sombres allaient s’enchaîner.
J’aurais voulu présenter des excuses au monde, j’aurais voulu dire tellement de choses qui restaient bloquées. Je ne parlais plus aux gens depuis tellement longtemps désormais que je me demandais même si je savais encore parler. Je vivais seul depuis si longtemps, sur les aires de nationale, à ressasser des souvenirs qui n’étaient, peut être, même pas les miens, que le contact humain lui même me faisait peur.
Il me restait James. Je n’avais jamais osé lui demander son nom. J’avais peur de la choquer, de la gêner. Elle ne m’avait jamais demandé le mien, alors je m’étais dit que ça serait inconvenant, déplacé. J’avais peur qu’elle prenne cela comme une intrusion dans sa vie. Je ne savais rien d’elle et elle ne savait de moi que ma détresse. En cet instant, j’avais envie de lui montrer autre chose de moi. J’avais envie qu’elle me voit comme quelqu’un de spirituel, d’intelligent, de cultivé peut être même de drôle, qui sait… J’avais envie de me faire pardonner de tout ce que j’avais fait, de tout ce que j’aurais dû faire et que je n’avais pas réalisé. J’en étais incapable comme tant d’autres choses.
Au loin, dans les champs, perdue, je voyais une lueur cligner et je priais cette lumière. Je n’avais jamais cru en dieu mais je croyais en cette lumière. Il me fallait m’accrocher encore à quelque chose. Un souvenir de civilisation.
Mes yeux lâchèrent ce qui leur restait de larmes mais il n’y avait plus de douleurs, seulement un reste de peine, le souvenir de ce qui était gâché, de ce qui était perdu.
Mais j’allais bien.
Il n’y avait plus rien à briser de toute façon puisque tout était déjà dévasté. Mes yeux me semblaient exorbités. Ils me transperçaient. Je demandais le chemin à la lueur au fond du champ, qu’elle m’indique enfin la lumière du bout du tunnel.
La pluie semblait avoir redoublée. Les balais des essuie glaces rythmaient le trajet.
Elle avait décidé d’aller le plus loin possible, comme s’il fallait me sauver encore de moi-même. Et je suivais le chemin. Je subissais encore.
Mon ventre était troué et le vide ne se remplissait jamais. Au delà de la boule, c’était un vide qui se creusait, une béance qui s’amplifiait, une cicatrice qui s’élargissait et il fallait vivre avec ça. Cette douleur demeurerait permanente désormais et il faudrait vivre avec ça parce qu’elle ne partirait plus, elle.
Cette fois, il aurait fallu être sublimes, il aurait fallu que notre amour soit plus fort que moi mais il n’y a que dans les livres pour enfants où, à la fin, le gentil part, héroïque, dans la nuit douce et chaude.
J’étais en boule, dans la nuit, sous la pluie, dans une voiture pourrie, le visage démonté par les larmes que je ne contrôlais plus depuis longtemps. Loin d’être un héros, loin d’être.
Je voyais les poteaux électriques du bord de la route se succéder devant moi, à vive allure. La voiture traversait un mur de pluie, en asséchant la route. L’eau était éjectée sur le bas côté et j’avais l’impression que tout allait de plus en plus vite. Toutes mes blessures étaient rouvertes, toutes mes souffrances amplifiées mais j’allais bien. Il fallait que j’aille bien.
La lumière en moi était éteinte depuis trop longtemps et je ne pouvais pas me faire aimer si elle ne voulait pas. J’aurais juste voulu dire pardon pour ce que j’ai fait. J’avais fait tellement d’erreurs, mais un jour, je serai grand.
J’avais froid. J’étais en nage à force de brûler. Je croyais avoir faim, je n’en savais rien. Les derniers feux de nostalgie du temps d’avant, du monde quand il était éclairé, de mon monde quand il avait un sens, m’arrachaient ce qu’il me restait de survie. Je n’avais pas dormi depuis trop longtemps. J’avais conduit sans relâche pour finir ridicule devant une fenêtre fermée. Pour être nu. Pour être celui qui ne sait même plus comment dire je t’aime.
Je me sentais partir. Mais plusieurs fois, les images que je ne voulais pas voir, me giflaient et me ramenaient à la surface.
Les lignes blanches de la route avaient ce côté hypnotique qui oblige à les regarder. J’étais tellement dingue de ce fantôme que les flammes de l’enfer et du désir ne m’atteignaient même plus. J’étais immunisé, vacciné, purifié. J’étais immortel parce que déjà mort.
Mais j’allais bien.
Les rubans de soie rouges volaient en tous sens. Les succubes en robes bleu pale agitaient les foulards pour en faire des cercles de douceur. Les étoiles entamèrent leur symphonie et tournaient tout autour de moi.
La lumière me brûlait les yeux. Je n’arrivais pas à les ouvrir. Mes mains, dans un geste d’auto défense, se posèrent sur eux. Je m’habituais lentement à cette clarté. Devant moi, la mer semblait immobile. Le sable reflétait les éclats du soleil.
J’avais beaucoup de mal à discerner la forme posée sur le capot mais je savais que c’était James qui se grillait une cigarette. J’ouvris, sans sortir, la porte. Elle ne montra aucun signe en ma direction.
– On fait quoi maintenant?
Elle se retourna brusquement vers moi et resta quelques secondes, ses yeux plantés dans les miens, comme si elle attendait que je réponde à ma propre question.
– Ça va dépendre de toi maintenant, petit bonhomme. Y a plus rien à faire. Tout est fait. Il n’y a plus rien à dire, il n’y a plus rien à faire. Tout est parti. Ton cœur est brisé. Ton corps ne va pas vraiment mieux avec le traitement que tu lui infliges. Tu comptes aller jusqu’où dans la destruction? Parce que là, il n’y a plus rien à détruire et la prochaine étape ce sera de me détruire moi et là, mon petit bonhomme, je te le dis tout de suite, t’es pas de taille.
Je décidai de sortir de la voiture. J’avais beaucoup de mal à marcher à force de dormir dans des positions improbables sur le siège passager. Je me plaçais à l’avant de la voiture et je restais debout, face à la mer. Elle s’était retournée. Elle tirait sur sa clope nerveusement en regardant le plus loin possible dans l’horizon.
– On arrive au moment où si tu veux vivre, il va falloir le décider.
– Vivre, je ne sais pas mais aller mieux, il va falloir.

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