Pensées et discussions à l’aire de l’autoroute (45) ou dialogue de l’auto fou

step 9
Et voilà… Le clap de fin a claqué sur une décennie de bas et de bas. Les souvenirs se sont estompés à coups d’indifférence et de balles tirées dans le cœur à bout portant. Douleurs qu’on ne peut partager. Il faut garder le positif, la lumière, le plaisir pour construire de nouveaux châteaux sur des fondations moins pourries mais le plaisir, ça aurait été d’être aimé. Mais puisque ça n’était pas le contrat, puisque ça ne faisait pas partie du deal, finalement, ça ne blesse plus vraiment. Si vraiment, j’avais pu signer ce contrat avec le diable, j’aurais exigé qu’on échange les rôles, que tu te brûles d’amour, que tu te consumes d’absences de l’autre, que tu te détruises par le mépris et que tu ne reçoives que des tablettes de chocolat Lindt aux noisettes. Mais le diable, lui aussi, était aux abonnés absents.
Maintenant que tout cela disparait, je peux gravir ces montages, traverser ces océans, me jeter du haut de ces immeubles et rouler le long de ces pentes. Les poids, les entraves, les fardeaux ne sont plus que fumées, vents et tout le monde les aura oubliés dès la fin de leur passage. Le passage est fait, l’oubli peut arriver. Les souvenirs ne sont que des chaînes qu’on se construit soi même pour éviter de vraiment tourner la roue. Et là, je tourne, encore et encore, à en perdre l’équilibre, la tête… Et je tourne…
Il ne fallait pas se blesser mais les trous sanglants sont profonds. Ils traversent même les chairs, les murs, les années. Il n’y a plus de raisons de donner corps à du désincarné. Ressasser en boucle des images que je croyais vraies et qui ne sont en fait que simulacres, simulations, mensonges et trahisons et les laisser frapper les portes et les murs de toutes les pièces de mon château, jusqu’à rompre les digues, pour devenir un nouveau feu destructeur et après… Continuer à tourner encore dans la ritournelle de ces faux souvenirs. Et sentir à nouveau battre ce cœur, le sentir frapper comme les coups des canons sur les plaines, et exploser dans cette poitrine affaiblie comme les corps projetés, éparpillés. Mais quand tout est parti, tout est dit.
Il n’y aura jamais assez de temps pour tout oublier et pour se dire que ce que je prenais comme une sorte de bonheur, n’était qu’illusion et que seul, je n’avais pas la force de construire à deux. Et maintenant, je sais que du haut des gratte ciel, du plus profond de ma mélancolie, je peux à nouveau ouvrir les bras et accueillir la souffrance du monde parce que ce n’est plus rien à côté du couteau qui tourne éternellement dans la plaie béante. Ce n’est rien parce que je ne vis pas les autres souffrances et que la mienne est trop lourde à gérer alors elle meurt parce que je cesse de la nourrir.
Il ne reste plus que les messages laconiques annonçant des ruptures au profit d’autres de passage, il ne reste que les insultes parce que les heures ne sont pas assez nombreuses, les nuits sans sommeil parce que la conscience de ne pas être essentiel était plus forte. Tout ce que j’avais est parti en un fil striant le ciel. Et frapper, fort, lourd, dur mais frapper… Evacuer, recracher, vomir, purger tout ce qui ne sert plus à rien maintenant. En fait, tout. Tout rendre aux étoiles et leur dire qu’elles gardent tout ça à jamais, que je n’en veux plus, que ce n’est plus mon histoire, que ce n’est plus à moi. Que ça n’existe pas. Ne plus pleurer puisqu’il n’y a plus rien à pleurer et voir les souvenirs pour ce qu’ils sont, des illusions, du non vécu, du rêve et la vie est un songe.
Cesser de penser, cesser de voir les images qui détruisent ce que nous avions qui paraissait unique mais ce n’était que des châteaux de sable, que la première marée, le premier vent a balayé et dispersé en poussière d’ange. Ailleurs, partout, nulle part.
Il peut désormais à nouveau neiger. Il n’y a plus de dettes, plus de souvenirs, il n’y a que les pages rendues blanches, cornées, salies, souillées, vides… mortes. Et qu’il faut ressusciter avec du vrai beau, du vrai incarné, de la vraie vie ressentie et plus les croyances d’une autre religion.
Sur les vitres, roulaient les gouttes de pluie que je regardais sans les voir. Elle roulait vite. Les arbres striaient le ciel étoilé. Comme à chaque fois, nous n’avions pas de but commun. Elle allait où elle voulait. J’avais choisi le château, le pèlerinage, elle pouvait bien choisir la retraite, l’ermitage. C’était le véritable trajet vers la rédemption, la renaissance. Tout était fini et les pensées terminaient de s’entrechoquer. Elles revenaient pour la dernière fois comme un testament, comme pour boucler la boucle, pour en finir avec les cercles dantesques. C’était le neuvième, c’était le dernier et le grand cahier pouvait finir sa vie dans un immense brasier, c’était désormais le tour d’un nouveau cahier. La couverture était neuve et jolie, les pages douces et immaculées, même le son du papier sous les doigts avait la douceur des plus beaux jours d’été. La vie reprenait enfin ses droits. J’allais enfin pouvoir m’autoriser à être un peu heureux.

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