
step 8
Il pleuvait. Il faisait nuit. Seule la lumière de son salon tenait mon regard. C’était un adieu et je le savais. Il fallait que le monde poursuive sa course, que chacun reprenne sa marche en avant. Bêtement, égoïstement, j’espérais lui manquer. J’espérais que sa vie sans moi serait fade, triste mais vite, revinrent vers moi les images de mon remplaçant et je savais qu’il la faisait rire, qu’il la faisait jouir et que je n’étais déjà plus dans ses pensées.
J’avais brûlé les idoles, les sirènes et les licornes. Et même s’il ne subsistait que le négatif, j’avais envie de dire que ça me manquait. Que cette histoire valait la peine. J’avais envie de me dire ça mais je ne me croyais pas moi-même. La frontière entre l’amour et la haine est si ténue que j’avais l’impression d’être en permanence en équilibre sur le fil qui délimitait les deux faces et j’attendais que le vent me pousse d’un côté ou l’autre. Il me fallait venir à bout de tous ces obstacles que je m’étais moi-même créés. Mes rêves, mes utopies, mes exigences, mes folles espérances devaient retourner dans leur monde onirique.
Et si j’avais pu, j’aurais, encore une fois, quand même, gravi ces montagnes. Je n’avais plus mal. Je pouvais partir. Je tournais la tête et regardais, par en dessous, à travers la vitre du conducteur. Elle était appuyée sur la portière, de dos. Elle fumait. Elle fumait trop, beaucoup, et je savais que c’était ma faute. Elle fumait toutes les cigarettes que je m’interdisais désormais de griller. Elle sentit mon regard se poser sur elle. Elle jeta la cigarette et l’écrasa sans se tourner vers moi. Elle expulsa les dernières fumées tabagiques de ses poumons, vers le haut, comme pour faire un halo autour de ses cheveux bruns, bouclés, décoiffés, en pagaille même, qui tombaient nonchalamment sur ses épaules. Lentement, comme dans les films de série B, elle se retourna et planta ses yeux verts que je trouvais trop maquillés, dans les miens.
J’aurais dû tomber amoureux d’elle. Elle avait la beauté indéfinissable de ces femmes qui ne seront jamais mannequins mais qui hanteront à jamais les rêves. Elle avait un corps de danseuse sous des vêtements trop amples, volontairement trop amples. Chacun de ses gestes semblait construit par un marionnettiste, un metteur en scène. Il ne semblait pas y avoir de hasard dans sa gestuelle. Il n’y avait pas de hasard dans ses pensées. Sans doute que j’avais mis inconsciemment une barrière entre elle et moi. Elle me paraissait beaucoup trop bien pour être avec un mec comme moi, sans avenir, avec trop de passé, sans attaches à l’exception d’une voiture pourrie, et des cicatrices partout sur le corps encore ouvertes et suintantes.
Elle resta ainsi, ses yeux plongés dans les miens. Elle ne parla pas, elle n’en avait pas besoin. Elle lisait en moi, elle savait. Elle esquissa un léger sourire, ferma les yeux, soupira un grand coup et ouvrit la porte. Elle s’installa et sans dire le moindre mot, mit le contact. Je me lovais sur mon siège, le visage posé sur la vitre. J’aurais voulu pleurer sur tout ce qui était mort, tout ce qui était perdu mais mon corps refusait de tomber, encore une fois, face à toutes ces promesses vides. Les images disparaissaient parce que les souvenirs ne valaient pas la peine d’être conservés. Comme des droites au visage, des coups de tête dans le nez, des gifles au visage, chaque phrase ressassée devenait une punition inutile. C’était mort avant d’être vécu. Détruit avant même d’avoir posé des fondations. Enlaidi avant même d’être dressé. Le gâchis n’avait même plus le goût de gâchis. Même la sortie était gâchée, rien dans l’histoire ne méritait de rester vivant mais il fallait encore que je règle son compte à cette rengaine qui tournait sans cesse dans ma tête. Il fallait que je m’annonce à moi-même l’assassinat de mes sentiments.