Pensées et discussions à l’aire de la nationale (80 et fin) ou dialogue de l’auto fou

Nous restions ainsi, face à face, pendant des heures qui ne durèrent que quelques secondes. Je ne savais pas gérer les silences, je n’avais jamais su gérer les silences. Peur du vide, peur de moi.

– Bon, bah quand même, je m’appelle…
– Tu crois que ça m’intéresse ?

Elle se jeta littéralement sur moi et m’embrassa. Je n’avais pas été embrassé ainsi depuis des années. Je n’avais jamais été embrassé ainsi en réalité. Il y avait dans ce baiser un appel au secours, un appel à l’amour, une volonté de vivre entièrement l’instant et de construire tout le reste. Et j’avais tellement envie qu’elle ressente la même chose que j’essayais désespérément d’être dans la même énergie. J’avais envie de me noyer dans le creux de son épaule, de me perdre dans la naissance de son sein, de découvrir un univers bien plus beau, bien plus sublime que ce qui était mort.

Je ne savais rien d’elle. Absolument rien sauf qu’elle connaissait l’italien, qu’elle dansait comme si elle était la musique ; pas dans la technique des gestes et des figures mais dans la fusion avec la musique, dans le sens du son, dans le sang de l’harmonie. Je savais qu’elle avait les yeux verts, qu’elle avait les cheveux bruns et qu’elle avait fait tourner toutes les têtes des hommes de la région mais que personne n’avait jamais réussi à la séduire. Personne n’en savait rien en tout cas. Une sorte de mirage qui m’attendait dans cet endroit perdu où il n’avait jamais été prévu que je me trouve. Une sorte de création divine qui apparaissait au moment opportun. Une sorte de fin du voyage initiatique pour attaquer le road trip amoureux. J’avais besoin d’une véritable compagne pour poursuivre mon chemin. James n’avait jamais été cette compagne mais plutôt un mal nécessaire pour me relever, pour me montrer le chemin.

Je n’avais rien à lui offrir et je pense qu’elle le savait. Elle semblait me vouloir pour ce que j’étais, là, en cet instant, avec toutes mes faiblesses, toutes mes cicatrices et pas ce que j’aurais dû être, ce que j’aurais pu être ou ce qu’elle aurait voulu que je sois. Tout semblait simple, naturel, léger, enfin léger. Peut être, alors peut être, que c’était la réincarnation de James, si l’on croit à ces choses ou que le sacrifice de James n’existait que pour faire vivre cela. Peut être.

J’avais, moi, envie de croire que c’était parce que toutes les cicatrices avaient été rouvertes à vif et que James avait su prendre le temps de les regarder une à une que je pouvais, aujourd’hui, prendre la route avec une inconnue, à qui je voulais offrir le monde. Et peut être, encore peut être, que je me trompe encore et que je ne me relèverais pas cette fois mais je m’étais promis à moi-même que, pour une fois, cette histoire, je la vivrais à fond, sans frein, jusqu’au bout, quitte à y laisser ma peau, quitte à me prendre un mur, quitte à devenir et à être moi parce qu’il n’y a rien de mal à devenir soi.

Et puis sentir que c’est moi qu’on aime enfin.



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