Pensées et discussions à l’aire de la nationale (78) ou dialogue de l’auto fou

 

J’avais dit tout ça d’une traite de la même façon que j’avais vidé le verre au point final. Marco n’avait rien dit, n’avait pas bougé. Il était resté impassible, ses deux grands yeux plantés dans les miens, attendant sans doute que je craque ou que je cède mais j’avais dit tout cela de manière détachée parce que je l’étais enfin.

Raconter mon histoire ne m’affectait plus finalement. Je n’avais pas parlé à des humains existants depuis plusieurs jours, peut être même des semaines. J’avais toujours cette impression de déranger, de n’avoir que cette histoire à raconter et ne pas être suffisamment léger, ce n’était finalement pas moi. Alors, je me taisais.

– En fait, tu ne savais pas être banal et tu l’es devenu. Y a rien de plus banal que de se faire larguer par une nana qui veut vous changer et qui abandonne quand elle s’aperçoit qu’elle n’y arrivera pas. Tu vas pouvoir penser à la violoniste maintenant. Elle n’essaiera pas de te changer, elle ne te connait pas et c’est pour ça que tu lui plais. Jamais personne ne lui a plu parce qu’elle connait trop les hommes de la tribu alors on pensait qu’elle finirait seule. Maintenant qu’il y a un inconnu, il l’emportera avec lui.

Je ris. Tout cela n’avait aucun sens.

– Sois sérieux. Elle est sublime. Elle n’a aucune raison de s’intéresser à moi.
– Elle ne t’intéresse pas ?
– Mais évidemment que je voudrais. Mais je voudrais plein de choses superbes dans la vie, comme tout le monde. Je voudrais être beau, être riche, heureux, être ailleurs mais voilà, je suis moi, je suis un paumé qui vit dans sa bagnole depuis un an parce que je n’ai pas su me faire aimer, j’ai pas un rond depuis plusieurs mois et personne ne pense à moi nulle part. Donne-moi la bouteille plutôt que de vouloir me faire croire qu’elle pourrait…

Il me passa la bouteille qui trônait devant lui. J’en bus une large rasade au goulot et la reposa fermement devant moi. Forcément, maintenant, je n’avais plus d’yeux que pour elle et j’essayais tant que possible de cacher mon trouble. Elle bougeait comme les mirages bougent dans les songes. Elle semblait irréelle et elle l’était sans doute.

– Elle va t’aider à croire. Tu as besoin de croire. Tu veux quelqu’un qui croit.
– Les contes de fées, j’en ai un peu marre
– Tout le monde aime les contes de fées quand on est le prince charmant de la fin.

Je fixais la violoniste qui dansait ses danses espagnoles en jouant sa musique, les cheveux lâchés et partant en tous sens. Elle sortait tout droit d’un de mes fantasmes enfouis et je ne pouvais décrocher mon regard.

– Elle te regarde.
– Oh non, non.. Elle regarde vers vous parce que vous êtes là. Pour qu’elle me regarde, il aurait fallu que je sois aimable et que tout le monde m’aime comme ça, je n’aurais jamais été seul. Même si c’est futile, c’est ça que j’aurais voulu être. Quelqu’un d’aimable mais tout le monde veut l’être, alors forcément, y a pas de rôle pour tout le monde. Moi j’aurais voulu être, je ne sais pas, un lion, un tigre et on a voulu me transformer en gros chat d’appartement.
– Elle est parfaite pour toi, gadjo, il y a forcément quelqu’un pour toi quelque part et je crois que c’est elle, ici.
– T’as trop bu. Je ne suis pas au niveau de cette femme et je ne suis même pas de votre communauté.
– Ça fait longtemps qu’elle n’est plus avec nous et qu’elle attend le moment pour partir. Ça ne sera pas un moment, ça sera toi.

Je tournais la tête vers lui et je le regardais en reprenant une nouvelle rasade. En posant la bouteille, je m’aperçus que le violon ne jouait plus, que la musique ne jouait plus.

– Pour une fille comme ça, il faut être Alain Delon ou Brad Pitt ou je ne sais pas qui mais quelqu’un de beaucoup plus fun que moi. Il faudrait que je fasse un pacte avec le diable pour avoir une chance avec elle et même le diable ne veut pas de moi.
– Je crois qu’il diavolo a changé d’avis et qu’il vient te chercher.


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