Pensées et discussions à l’aire de la nationale (77) ou dialogue de l’auto fou

– Et qu’est ce que tu veux que je regarde ?
– Le violon… Regarde le violon.


Au milieu des guitaristes, des chants et des vocalises, un violon semblait tournoyer comme toutes les saloperies qui tournaient dans ma tête depuis un an. Les notes voletaient et l’archet frottait les cordes comme si elles étaient mes veines. En la regardant, je sentais couler en moi les larmes du violon comme si mon sang était remplacé. C’était l’apparition de tout à l’heure. C’était cette fille qui semblait toujours être autour de moi sans être avec moi.

– Oui, y a un violon, elle est très jolie… Super…
– Elle joue pour toi…
– Et pourquoi elle ferait ça ?
– C’est une vraie question ?
– Ce n’est pas moi qu’elle regarde. Elle regarde par ici parce que vous êtes là, tous les sages… Moi, je suis le passant qui ne va nulle part. Dans une heure je serai emporté par le flot des souvenirs et des images comme depuis toujours.

Marco se tue. Il pencha la tête sur le côté et me regarda par en dessous. Sa cigarette se consumait sans qu’il n’y touche jamais, ses verres se vidaient sans qu’on puisse avoir l’impression qu’il boive.

– Raconte-moi mais fais vite. Les histoires chiantes me lassent vite et t’as autre chose à faire mais faut que tu vides ton sac une dernière fois pour ne plus jamais le porter. Ça devient beaucoup trop lourd cette histoire alors mets dans le sac et j’irais le jeter dans les marais pour que tu repartes sur autre chose.
Je me grattais l’intérieur de la main. J’avais envie de me délester de tout et en même temps j’hésitais. Cette souffrance faisait partie de moi, elle était moi désormais et même si je voulais m’en séparer, j’avais peur de vivre sans elle. Pourtant, c’était maintenant qu’il me fallait changer mon histoire.

– Je me suis épuisé à être ce qu’elle voulait de moi, ce qu’elle attendait de moi alors qu’en réalité, je ne savais même pas ce qu’elle attendait de moi à part devenir comme elle, à part être le calme, le zen, le plat, le sage, le tranquille. J’avais en permanence cette épée au dessus de moi de ne pas faire d’erreurs, de ne jamais être léger, de toujours être sérieux, cadré, propre, droit. Il fallait que je sois un dans la foule, un dans la masse. Il fallait que je sois moins comme moi et plus comme tout le monde, comme tous les autres, comme les gens. Quoique je fasse, j’avais toujours l’impression de commettre une erreur, un crime, une saloperie. J’aurais aimé parfois qu’elle soit fière de moi, qu’elle me trouve beau ou intelligent ou autre chose plutôt que de le dire mais de me montrer le contraire. Chaque pas, chaque inspiration, chaque regard apparaissait comme une erreur à ses yeux. Je le ressentais comme ça. Obligé de m’excuser de tout, tout le temps. Obligé de m’excuser d’être moi. Je me suis brulé, épuisé, détruit à vouloir devenir parfait à ses yeux, à devenir quelqu’un d’aimable, à devenir essentiel alors qu’en fait j’ai été oublié dès la porte fermée. Et à force, j’ai implosé, je me suis effondré devant son intransigeance, son refus de moi parce que je n’étais pas ce qu’elle voulait. J’ai échoué à être cet être à la fois supérieur et totalement banal et chaque seconde que je dépensais dans cette morsure devenait de plus en plus insupportable. Je n’étais pas assez bien, pas assez fort, pas assez beau, pas assez intelligent pour être là. J’avais échoué dans ma quête parce que moi aussi, je peux échouer et finalement je me suis davantage déçu moi-même que je ne l’ai déçue.

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