Pensées et discussions à l’aire de la nationale (73) ou dialogue de l’auto fou

Nous avions roulé à travers les marais vers des contrées où la civilisation n’existe pas, où les choses restent simples, directes, pures. Je me retrouvais dans mon élément. J’avais erré à travers les ruelles des villes et les églises posées sur les places, entre les bâtiments des cités et les rues des quartiers. J’avais roulé dans la nuit, dans un lieu inconnu qui ressemblait, en fait, à mon quotidien. Je réalisais que la solitude était le seul ami qu’il me restait. Je n’avais de nouvelles de personnes de mon ancienne vie, depuis des semaines, et j’avais traversé les jours en espérant oublier que j’étais seul. J’étais allé d’un endroit à un autre pour trouver le nouveau loup solitaire.

Devant moi se dressait un désert d’herbes hautes et de cours d’eau. La route serpentait au milieu de nulle part et semblait ne pas aller ailleurs. Marco restait impassible à mes côtés, se contentant d’indiquer, d’un geste de la main, parfois, à un croisement, la direction à prendre. Malgré les pleins phares, la visibilité était réduite. Le brouillard montait des marais, la nuit était opaque. L’idée d’un milieu de nulle part ne m’avait jamais paru aussi forte. C’était un de ces lieux qu’on ne voit pas à la télé, perdu, et qui n’existe plus que pour les isolés, les coupés des mondes, les autres.

J’hésitais à accélérer. Je ne savais pas quelle attitude adopter en réalité. Je ne savais pas où j’allais mais désormais, le chemin était simple. Il n’y avait plus de croisements, seulement un chemin de terre sinueux. Le ciel dégueulait des étoiles par milliers. Et, au bout de la route, au bout des mondes, il y avait, quelque part, l’espoir de deviner un lever de soleil et de se dire que, même loin, même au-delà des pensées, je restais debout, même en partant encore plus loin. Je pouvais finalement me permettre de partir sans me retourner, sans être retenu par qui que ce soit, par quoi que ce soit, puisque ce qui me retenait n’existait plus. 

Sur la ligne d’horizon, apparut une lueur hésitante qui se renforçait à mesure que nous approchions.

– C’est là bas.
– C’est quoi ?
– Un feu.
– Et autour ?
– La famille.
– La tienne ?
– Celle qu’on se construit.
– T’es sûr qu’un gars comme moi, ça dérange pas ?
– T’es trop honnête pour déranger.
– Honnête ?
– C’est marqué sur ta gueule que t’es un bon gars. T’as trop morflé pour être une crapule.
– Euh, normalement, les crapules sont des mecs qui ont souffert. Enfin, il parait.

Il tourna son regard vers moi. Je sentais le poids de ses yeux. Je faisais semblant de regarder la route et donc de ne pas remarquer son changement d’attitude.

– Quand tu as vraiment pris des tartes dans la gueule, t’as juste aucune envie d’en remettre. Ceux qui en mettent se servent de ça comme d’une excuse. Y a pas d’excuses. T’es un enfoiré ou t’es un mec bien. Le fait d’être à plaindre, c’est bon pour les victimes. T’es pas une victime quand tu te bats contre ton sort.
– J’ai le droit de ne pas être d’accord.
– T’as tous les droits mais t’es un bon gars quand même, que ça te plaise ou non.

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