Il restait prostré, allongé sur le sol de son salon. Le froid de son carrelage ne l’atteignait pas. Il semblait immunisé contre les événements extérieurs. Au dehors, il entendait les secours s’affairer et tenter l’impossible. Il avait volé l’âme, il avait volé la lumière, il était trop tard désormais. Il tenait sa vengeance mais elle lui arrachait les tripes. Il ne voulait pas de cette vengeance. Il s’y était résolu contre lui-même. Il l’avait fait parce que c’était une évidence. Elle n’était pas là par hasard. Son retour signifiait qu’il fallait en finir et il n’y avait pas d’autre fin possible. Il resta allongé sur le sol et leva la main droite comme pour toucher le visage qu’il voyait se dessiner sur son plafond. La douleur dans sa poitrine devenait insupportable. Elle lui déchirait le torse. Il ferma les yeux.
La musique des sirènes se rapprochait et devenait plus forte, plus intense. Comme la dernière fois, il sentait vibrer en lui les derniers battements de cœur. Cette fois, ce n’était plus le choc dans la poitrine d’un cœur inconnu. C’était les derniers soubresauts d’un cœur qu’il avait adoré mais qui n’avait jamais battu pour lui. Il voulait oublier cet amour qu’elle avait tué. Il voulait se dire que les images qui le hantaient disparaitraient à tout jamais. Il savait maintenant que son corps qui s’effondre sur le bitume, cette mort instantanée, cette fin, le poursuivrait au-delà de sa propre existence. Depuis des mois, la vie d’Elisa l’accompagnait, le pourrissait, le méprisait. Désormais c’est sa mort qui serait perpétuellement sur son chemin.
Durant des mois, il avait cherché toutes les émotions positives qu’il pouvait garder de cette histoire. Il se remémora tout ce qu’il pût, seul, en tournant dans son salon. Chaque souvenir, les voyages, les nuits, les rires lui revinrent et, à chaque fois, il ne pouvait s’empêcher de se dire que tout cela avait été simulé. Il avait voulu se dire que non, mais la réalité le frappait en plein visage à chaque fois. Elle ne l’avait pas aimé.
Les bruits de la rue d’un dimanche matin montaient jusque dans son appartement. La fenêtre, malgré le froid et la pluie, était restée ouverte. Il ne trouvait plus la force de se lever, il ne trouvait plus l’envie de se lever. Depuis qu’elle l’avait quitté, ses journées étaient rythmées par l’attente d’un appel, d’un signe, d’une attention, qui n’était jamais venu. Aujourd’hui, il prenait conscience que tout cela n’arrivera jamais et que son attente, son espoir, étaient morts en même temps qu’elle. Il savait qu’ils étaient passés à côté de l’essentiel. A force de tourner les pages, de changer les livres, les mots se sont vidés de leur sens et l’image floue d’un passé heureux disparue, remplacée par un présent sombre, triste, solitaire.
Il était à moitié nu sur le sol. Il tanguait. Il se croyait tantôt sur une route déserte au milieu de nulle part, tantôt sur une plage surplombée d’un parking dans lequel errait une voiture rouge avec un homme et son bonnet jouant de la guitare, assis sur le capot. Il divaguait et voyageait mentalement dans des lieux inconnus, dans des mondes imparfaits mais tout était bon pour ne pas se focaliser sur les équipes de secours qui, au dehors, tentaient de ranimer Elisa alors que tout était déjà fini. Chaque seconde le ramenait, lui, à la vie. Il reprenait des forces qui l’avaient abandonné depuis si longtemps. Aujourd’hui, définitivement, il était mort en dedans mais vivant en dehors. Il ne savait pas si ce serait mieux qu’avant, le manque serait énorme de toute façon mais, au moins, il y avait désormais un mais…