Les yeux perdus dans le brouillard des larmes de celui qu’elle avait brisé, elle comprit que c’était la fin de son chemin. Elle n’avait rien accompli finalement et sa seule gloire aura été de détruire un amour imparfait et de sauver l’âme d’un clochard en perdition. Elle avait aussi sauvé la vie d’un chat. C’est important les chats. Elle ne savait pas pourquoi aujourd’hui, elle avait ressenti le besoin de le revoir. Elle l’avait évité pendant des mois. Elle l’avait ignoré et parfois même, volontairement, elle faisait en sorte qu’il se souvienne d’elle et qu’il en souffre. Elle s’était satisfaite plus d’une fois de ressentir la souffrance diffuse dans les airs. Les larmes et les remous dans l’estomac qu’elle savait lui provoquer. Elle avait retiré une certaine jouissance à savoir qu’il souffrait et elle avait même cherché des moyens d’accentuer cette douleur. Ce n’était pas tant qu’elle lui voulait du mal mais le savoir encore piégé lui donnait une force intérieure plus grande. Elle était la source des souffrances de quelqu’un quelque part et elle en jouissait. Peut être une dérive sadique en elle qu’elle se retenait d’exprimer totalement mais elle avait longtemps senti ce vent la pousser dans son dos et lui donner la force d’affronter de nouveaux pièges. En réalité, plus elle le détruisait à distance et plus elle se sentait vivre et forte. Elle le vidait de sa force vitale pour construire une vie qu’elle n’avait pas eue.
Il n’y eut pas un bruit, pas de détonation ni d’explosion. Elle sentit soudain que toute cette énergie vitale s’échappait d’elle. La fuite devenait torrent puis ruisseau, rivière, fleuve, mer et océan… Elle se vidait. Elle ne voyait pas de sang couler. Elle ne comprenait pas ce qui se passait mais elle partait. Elle voulut s’asseoir, reprendre son souffle. Elle n’avait sans doute pas assez dormi et le stress de la campagne l’avait forcément épuisé. Elle chercha un mur pour s’y appuyer, elle chercha un moyen de tomber sans se blesser, elle chercha un moyen de rester vivante, c’était trop tard. Elle continuait cependant à regarder le dernier étage de l’immeuble et elle voyait qu’il ne la lachait pas du regard. Il était simplement en train de récupérer tout ce qu’elle lui avait volé mais en reprenant son bien, il prenait aussi ce qu’elle avait. Elle comprit qu’il se vengeait, qu’il avait enfin la possibilité de réparer ses propres blessures. Elle ne savait pas comment, elle ne comprenait pas comment mais sa gorge était sèche, ses muscles vides, ses pensées floues, désordonnées, confuses. Elle voulait résister mais tout était plus fort qu’elle. Elle ferma les yeux comme pour trouver un sursaut, un souffle, une énergie qu’elle sentait encore fuir son corps de partout. Elle n’eut plus la force de les rouvrir. Elle l’avait vu à sa fenêtre et c’était la dernière image qu’elle aurait. Elle n’avait plus de force. Elle aurait voulu crier, sortir de la prison de son corps, pleurer mais rien n’était possible. Elle était maintenue debout par un fil invisible qu’il semblait tenir depuis sa fenêtre. C’est lui qui déciderait du moment où il romprait le lien. Elle avait tout fait pour briser ce lien et c’est maintenant, pourtant, qu’elle voudrait qu’il soit fort comme jamais mais il était trop tard. Il s’était senti abandonné, humilié, détruit, il ne pouvait plus revenir en arrière. Intérieurement elle comprenait qu’il ne l’aiderait plus, qu’il ne la soutiendrait plus et que tout était fini mais l’instinct de survie, l’espoir, encore l’agitait mais il était vain. Elle tomba.