Pensées et discussions à l’aire de la nationale (64) ou dialogue final de l’auto fou

           Elle leva les yeux vers le sommet de l’immeuble, vers le ciel. Tout en haut, là où elle savait qu’elle avait menti. Il était là, torse nu, comme la dernière fois qu’elle l’avait vu, comme s’il n’avait pas bougé, comme si son monde s’était arrêté avec son départ. Ils restèrent les yeux dans les yeux. Loin, longtemps, une éternité, un monde. Il y avait dans ce regard les restes de leur histoire. Elle avait été leur essence, leur fil conducteur, leur sens et depuis, il s’était arrêté dans un entre deux mondes alors qu’elle avait brûlé ce qui lui restait.

Il avança de manière hésitante sur le petit balcon qui prolongeait la porte fenêtre. C’est ici que, des nuits durant,  ils avaient observé les étoiles, les oiseaux et les nuages. Il ne fit qu’un pas. Il ne pouvait en faire davantage. Il n’avait plus la force de faire davantage. Son corps était meurtri, son cœur était parti dans des contrées inconnues mais il était sans nouvelles de cet organe, seulement lorsque celui-ci se mettait à taper trop fort dans sa poitrine. Son âme était brisée et le laissait sans qu’il puisse réfléchir, concevoir.

Maintes fois, pour entretenir le mensonge, elle lui avait fait croire que c’était son esprit qui l’avait séduite. Il ne l’avait jamais cru, il avait eu raison mais il avait donné le change, il avait eu tort. Il savait qu’il serait remplacé sans problème parce qu’il était remplaçable alors, qu’à ses yeux, elle ne l’était pas et ne le serait pas.

Il avait envie de lui dire tout ce qu’il avait tu si longtemps. Lui dire que des milliers de fois, il avait voulu lui écrire, non pas pour savoir comment elle allait mais pour savoir comment elle vivait sans lui parce que, lui, il n’avait jamais réussi, malgré une vie à essayer, à vivre sans lui-même. Il voulait savoir ce que cela faisait d’essayer de ne pas l’avoir, de ne pas le posséder et c’est ça qui le préoccupait davantage encore que de savoir comment ça allait. Ce que ça faisait de ne plus lui parler, de ne plus échanger avec lui, de ne plus rien partager, de disparaître comme s’ils étaient des étrangers après tout ce qui fut partagé. Il aurait voulu savoir ce que ça faisait de n’être plus rien et si ça faisait aussi mal qu’à lui de ne plus la voir rire, de ne plus la voir bouger, de ne plus sentir son odeur, de ne plus ramasser ses cheveux, de ne plus s’allonger à la regarder vivre. Savoir si juste quelque chose frémissait à l’idée qu’il ne ferait plus jamais rien pour qu’elle aille mieux, pour qu’elle aille bien, pour qu’elle sourit. Et peut-être que c’est mieux ainsi et que la vie maintenant est meilleure, peut-être mais peut-être pas. Il avait toujours ce doute et quelque part, il espérait que ce doute avait voyagé jusqu’à elle et qu’il avait hanté quelques nuits, quelques heures, peut-être seulement quelques minutes mais ça serait déjà tant. Parce que, toujours, lui, il se demandait, de manière lancinante, comment pouvait se vivre la vie désormais sans lui et que, vraiment, il ne préférait pas connaître la réponse, trop sûr de déjà la connaître.

Il avait passé les jours à s’oublier pour continuer à se souvenir d’elle. Et les jours étaient passés, s’enfilant comme des perles de plastique multicolore sur un fil de pêche. Il avait appris à dire qu’il la désirait, qu’il l’aimait mais il avait échoué à lui faire ressentir toutes ces choses qui lui étaient tellement étrangères. Il avait cru que c’était cela l’amour, il avait cru que c’était cela aimer. Depuis, il gardait le silence. Il voulait rester sur cette idée que ses derniers mots seraient ceux-là. Il savait cette promesse impossible mais l’idée lui plaisait. Elle était romantique, elle était presque romanesque, elle lui ressemblait finalement davantage que cette histoire qui, en réalité, n’en fut pas vraiment une.

Et pourtant, plongé dans ses yeux, il ressentait le manque, l’absence, le vide qu’elle avait laissé. Il avait lutté longtemps contre cette sensation. Il s’était battu contre lui-même et il avait perdu. Elle était bien plus importante, bien plus présente qu’il ne cherchait à s’en convaincre. Il n’était rien pour elle, elle restait dans chacune de ses pensées. 

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