Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’il survivait, dans une triste pénombre, en silence. Il ne voyait personne, ne parlait à personne, il ne voulait voir personne, il ne voulait parler à personne. Sa réclusion volontaire, dans son appartement, résultait, logiquement, de son exclusion sociale. Depuis sa banquette, il voyait le monde se désagréger, s’auto-détruire, avec une joie paradoxale mais contenue. L’air était léger. Les derniers effluves de l’été parcouraient les rues désertes.
Ce mélange de jasmin humide venu du parc derrière l’immeuble et de goudron trempé par les pluies des derniers jours envahissait tout le salon depuis qu’il avait ouvert la fenêtre.
Il s’était assis face à la fenêtre comme il en avait pris l’habitude depuis le début des événements. Le volet était à peine ouvert depuis des semaines. Juste suffisamment pour lui permettre d’apercevoir le reste de vie qui s’écoulait. Il regardait la rue qui n’était pas seulement vide parce qu’il était très tôt ce matin-là. Pour un dimanche, il se demanda s’il était raisonnable d’être levé, depuis longtemps déjà, il ne dormait que peu et sentait, en permanence, la fatigue peser sur ses épaules. Depuis la rupture, il ressassait sans cesse tous les souvenirs qui tournaient en lui et autour de lui. L’absence d’images positives de vrais moments de bonheur et de partage non feints l’avait poussé à se construire des voyages intérieurs et solitaires pour fuir cette souffrance qu’il ne parvenait plus à gérer. Pourtant, il s’était cru fort mais, encore une fois, il avait cédé alors qu’il ne voulait pas y aller et cette fois, il sentait que c’était son ultime tentative. Trop fatigué pour repartir, trop blessé pour avancer, trop cassé pour se projeter, il se construisait son nouveau monde qu’il pouvait détruire à volonté depuis sa fenêtre.
Le défilé des nuages gris construisait un tapis laineux.
Il avait cru en cette histoire et c’était bien une nouvelle preuve de ses faiblesses. Encore une. Depuis, il errait entre les murs de son chez lui. Les jours passaient sans qu’il ne réussisse à se libérer de cette image et sans qu’il ne prononce le moindre mot. Il avait porté des masques, des costumes pour que cette histoire vive. Il avait caché ses doutes, ses fragilités derrière des blagues et des clowneries. Des jours durant, il avait cru, qu’enfin, sa vie prenait un nouveau cours, qu’enfin un sens allait résonner et puis, elle ne l’aimait pas, elle ne l’avait jamais aimé. Plusieurs fois déjà, elle était partie chercher des sensations plus intenses, plus valables, ailleurs, et, elle était revenue parce qu’il n’était pas si mal, finalement. Il était cultivé, il était sortable, il était drôle, c’était même un bon coup mais elle ne l’aimait pas. Alors faute de mieux, elle lui faisait croire qu’il était unique mais il était seulement l’unique qui restait, qui revenait, malgré tout. Il l’avait dans la peau, elle avait sa peau.
Un vent frais balaya les rues et les rideaux qu’il avait accrochés, pour faire plaisir à son Isabelle partie, firent une sorte d’arabesque qui lui rappela les tutus et les chaussons de danse. Tout était prétexte à trouver un lien entre le monde et elle.
Il avait, mentalement, fait plusieurs fois le tour du monde. Il avait cherché, dans ses mondes, la paix qu’il n’avait plus dans la vie de ceux qui restent en survie superficielle. Il refusait de se dire qu’il n’y avait rien à faire mais il savait qu’il n’était plus rien et, pourtant, il l’aimait. Il continuait de l’aimer, stupidement, anachroniquement, déraisonnablement.
Le temps s’écoulait à regarder les rares passants, à ressentir les derniers faibles signes de vie : le pigeon qui se posait sur le toit de l’immeuble d’en face, le chat qui se cachait sous une des voitures garées, le goût fade des carottes râpées mangées à même la boite plastique.