Pensées et discussions à l’aire de la nationale (54) ou dialogue de l’auto fou

 

Et puis, après tout, il fallait me résoudre à avancer et à poursuivre la route. La mienne. Celle qu’on m’avait laissée, même si elle ne me convenait pas. J’avais d’autres rêves, d’autres envies que d’être posé sur le capot d’une voiture en ruine. Tout ne se passe pas toujours comme on l’aurait voulu. Rien ne se passait jamais comme je le voulais. C’était une habitude à prendre. Un travers qu’il fallait toujours prendre en compte et sur lequel il ne fallait jamais avoir la moindre hésitation. 

Et puis, après tout, chercher l’amour ou un dérivé quelconque de ça dans des lits et des banquettes arrières de voitures cabossées ne m’avait pas apporté grand chose de positif. A force de chercher des souvenirs positifs ou valables, j’avais refait le papier peint de mon grenier. Je ne gardais rien de mémorable. Je venais de comprendre que je sortais plus vite de la mémoire de mes partenaires que je ne mettais de temps à y entrer. Je comprenais enfin que je ne laissais pas de traces. Même de mon vivant, j’étais un fantôme. 

Et puis après tout, en fouillant dans les méandres obscurs de ma mémoire, je n’avais trouvé, jusqu’ici, que des aventures sans lendemain, des histoires sans sens, des simulacres de passions dépassionnées, des obligations de partage sans tatouages. Elles vivaient sereinement et tranquillement, ce que je vivais comme un déchirement. Des dizaines de visages qui ne se souvenaient même plus de mon nom et pour qui je n’étais, en réalité, qu’une ombre dans la nuit, un vide dans le néant. Cette catastrophe, qui finalement n’en était plus une, m’avait simplement fait comprendre qu’il me fallait revoir mes ambitions à la baisse. Les semblants d’amour, les déclarations ou les sentiments exacerbés ne faisaient pas partie de mon monde. Les voyages entre les lits étrangers, les portes cochères, les parkings des anges seraient mon quotidien désormais. Les envies d’éternité, des contes littéraires, se mourraient en même temps que les illusions perdues. 

Et puis après tout, longtemps, j’avais cherché celle qui pourrait remplir les espaces vides de mon cœur . J’avais cherché, j’avais cru et finalement, elles n’avaient que creuser davantage les trous, les manques, les cicatrices. C’en était terminé de cette quête. La prise de conscience était violente, brutale, blessante même, mais je n’étais pas équipé pour les amours cinématographiques, littéraires, poétiques. J’étais à peine équipé pour passer la nuit. Il me manquait trop de choses pour être davantage qu’un passant dans des vies mornes. Cela n’était plus blessant. Je voulais être inoubliable à chaque fois, et j’étais oublié en permanence. Cela n’était plus grave. J’avais cru à ce qu’on m’avait fait croire, des sentiments, des éternités, des lendemains qui chantent. Je n’étais que le personnage secondaire d’un mauvais film, français, d’aujourd’hui. 

Et puis, après tout, il était normal qu’à force de vouloir être un héros, je ne sois qu’un personnage oublié, au fond de la taverne, saoul, d’alcool et de coups. Je n’avais jamais réussi à me faire aimer et, le moment était venu de se dire que ce n’était pas toujours la faute de l’autre, des autres mais que, probablement, je m’étais encore menti à moi même autant qu’on m’avait menti. 

Et puis, après tout, James n’était là que pour me renvoyer ma propre déchéance. Je n’étais rien pour personne, je n’avais rien à gagner ou à perdre, puisque tout était déjà perdu, je pouvais me laisser aller au tourisme. J’allais visiter de nouveaux cœurs qui ne m’aimeront pas plus que ceux d’avant mais j’y étais prêt désormais. Je ne cherchais plus l’absolu, il était mort en même temps que cette énième bouteille de whisky frelaté qui gisait sur la moquette immonde. J’étais devenu l’intrus dans les vies de celles que j’aurais voulu aimer et je serai l’intrus de toutes celles que j’allais croiser. Je ne peux pas me faire aimer alors j’accepte l’augure de n’être qu’un passant sans mémoire ni souvenirs. 

Et puis, après tout, celles que j’avais voulues, m’avaient vite oublié, parfois même alors que j’étais là, alors il n’y aurait pas de changements. Voyageur sans bagage, passant sans trace, héros sans mission. Je n’étais personne pour personne. Je n’avais pas été aimé, je n’avais pas marqué, j’avais cherché ça toute ma vie, j’avais échoué alors autant boire un coup et reprendre la route jusqu’au prochain arrêt. J’avais toujours cru exister parce que j’étais quelque chose dans le regard de l’autre, maintenant que je savais que je n’étais rien et que je n’avais jamais rien été, je pouvais me résoudre à n’être rien. 

Laisser un commentaire