Pensées et discussions à l’aire de la nationale (53) ou dialogue de l’auto fou

 

– Par exemple, moi, ce qui me fait chier dans la littérature, ce sont les bouquins qui n’ont pas valeurs universelles. L’histoire d’un village paumé dans le Lubéron ou au fin fond du Cameroun, ça m’emmerde. Je veux lire des histoires qui se passent ici ou ailleurs sans que ce soit un problème. Il faut parler de sentiments qui touchent tout le monde. Enfin, ça, c’est ce que je pensais avant. Maintenant que je sais que certains n’ont pas de sentiments, que d’autres les cachent ou les feintent, je me dis que l’universel, c’est quand même super vague. A partir du moment où ça s’adresse seulement à une catégorie, ça me fait chier. De toute façon , l’humain me fait chier. Faut toujours un truc qui déconne. Après tout, le plus grand roman de l’histoire de la littérature, c’est la bible. Le reste n’est que réécriture plus ou moins talentueuse. 

– Par quel miracle te sens tu obligé de toujours tout gâcher, même le sublime? Ce qui compte, c’est l’histoire

– Ce qui compte, c’est comme dans la vie.. Les sentiments, les émotions.. Mais ça, les gens maintenant ne savent même plus ce que ça veut dire. Il faut du creux, du rapide, du mobile… Moi, je veux chialer, je veux aimer, être aimé. Que ça se bouscule dans l’estomac, que ça vibre, que ça tremble. Moi, je suis incapable de provoquer ça chez quelqu’un alors j’aimerais bien, au moins un peu, ressentir ça. J’ai pas droit à la magie des sentiments alors même si c’est du fake, je veux que ça existe un peu pour moi. 

– En gros, tu veux que l’art remplace la merde qu’est ta vie? 

– Ouais, ça ne serait pas si mal.

– Donc t’es un con, une merde et tu voudrais que les autres compensent tes nullités. 

– Bah ouais. Je vais devenir sublime alors que je suis une merde, faut être cohérent. Jusque là, je croyais que j’étais sublime dans les yeux de celle qui prétendait m’aimer. Maintenant, je sais que je n’étais même pas aimé, alors t’es gentille, mais si y a un moyen quelconque de remplir cette vie de merde, je vois pas pourquoi je devrais me priver. 

– Tu ferais mieux de te remplir de silence, ça t’évitera de dire des conneries.  

– Avant je prêtais des bouquins aux gens. Mais des vrais bouquins, hein. Des vrais trucs de littérature, super bien chiadés et tout ça. Et puis, je me suis aperçu que les gens préféraient lire des conneries sur les chats ou sur la plantation d’arbres nains en milieu hostile. Déjà les bouquins que tu prêtes, tu les revois rarement mais en plus, tu prêtes de vrais trucs et les gens ne les lisent pas alors je les laisse remplir leur vie avec des chats et des plantes grasses puisque c’est ce qu’ils veulent. 

– De toute façon, tu n’as plus de bouquins maintenant. 

– Raison de plus pour ne plus les prêter à des gens qui ne les lisent pas. 

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