Pensées et discussions à l’aire de la nationale (42) ou dialogue de l’auto fou

step 6

De l’extérieur, il ressemblait à une réplique des châteaux anglais victoriens. Un bloc avec une sorte de tour comme entrée et deux escaliers, un de chaque côté, avec une forme étrange, dessinant une sorte de cœur inversé, dont la pointe serait la grande porte d’entrée.

Depuis le jardin, il ne faisait pas spécialement envie. C’est vraiment l’atmosphère d’abandon et de décrépitude qui attirait. L’entrée, en réalité, était surplombée d’un clocher et d’une immense horloge et l’aspect victorien de l’ensemble se mélangeait avec des arabesques byzantines, dans la profondeur de la Toscane. Les arbres eux mêmes ne paraissaient pas de ce monde. Ils semblaient, eux aussi, étrangers, immigrés de force. Des séquoias, des pins, des arbres exotiques qui donnaient à l’immensité du jardin, un aspect encore plus irréel. En fait, le château n’était qu’une énigme temporelle et historique, d’un marron vieilli et déjà obsolète lors de la construction, dans un écrin de verdure, composé d’arbres et de plantes qui n’avaient rien à faire là.

Toute cette situation, en réalité, résumait cet instant de mon existence. Le château n’avait pas à être là, les arbres non plus, moi, encore moins. Rien de tout cela n’aurait dû exister et si l’on ajoute la présence d’une inconnue au milieu d’une foule hétéroclite et des centaines de kilomètres entre ce qui devrait être chez moi et ici, cette situation dépassait l’improbable.

Il avait fallu que cette étape devienne nécessaire, comme un appel incompréhensible. Il avait fallu une force inconnue pour me pousser jusqu’ici. Je n’avais rien à y faire mais c’était un bel endroit pour enterrer ce qui devait l’être. Etre ici n’avait pas de véritable sens quand la décision fut prise de venir et puis, maintenant, cela devenait une totale évidence. Il fallait un enterrement en grandes pompes pour les espoirs et la foi que j’y avais mis. Il fallait un enterrement grandiose pour en finir avec cette supercherie, ce mensonge, cette foi dogmatique. Inconsciemment, j’avais été jeté jusqu’ici. Dans la tempête, j’avais entraîné avec moi les chariots de feu de mon existence et un putto égaré.

L’intérieur n’appartenait pas à la bâtisse posée à l’extérieur. Tout était couleurs éclatantes, formes biscornues et mauresques, alors que l’extérieur n’était que lignes droites et architecture géométrique.

J’avais beau vouloir absolument éviter l’analogie, je ne pouvais m’empêcher d’y voir une allégorie parfaite de celui qui n’était que pièces vides, biscornues, avec des couleurs criardes et désaccordées, dans des formes improbables, superposant des tracés hallucinés, dans un corps qui tentait, par tous les moyens, de tenir debout, de rester droit, presque digne, amaigri, amoindri, affaibli, brûlé par les soleils des derniers jours et manifestement vieilli par l’épreuve.

Tout était improbable. Le bleu cyan des piliers se mélangeant au jaune fluorescent des diagonales sur les murs, accompagnées de dégradés de bleus, tout aussi improbables et répondant au jaune des hauteurs des murs, multiples, inconnus. Les piliers portaient des ouvertures ciselées, en arc de cercle, dont le plafond était couvert d’un rouge sang agressif. Et comme si toutes ces couleurs totalement désaccordées ne se suffisaient pas à elles mêmes, elles étaient rehaussées par des dégradés de vert.

Les pièces se suivaient. Il n’y avait qu’un long couloir qui traversait l’intégralité de la demeure et qui, à chaque fois, traversait une nouvelle pièce gigantesque et colorée de manière finalement indéfinissable. La suivante n’était qu’arc de ciel et gerbes de blé explosant au plafond dans un mélange de jaune sable, de violet princier et d’orange trop mur.

Ensuite, une pièce aveugle, blanche dans la dominante mais couverte de taches de bleu électrique, de vert d’eau et de marron des roses des vents des déserts.

Puis des tiges de pierre partant du sol et formant comme des feux d’artifice en touchant le plafond avec le spectre entier de l’arc en ciel au sommet. Et toutes les pièces donnaient un ensemble harmonieux en son sein mais totalement fou dans la construction d’ensemble. 365 pièces différentes. Le château semblait petit, il était immense. Autant de pièces vides de meubles, de gens, de vies, et pourtant, débordant de richesses, de couleurs, de formes. Chaque pièce de ma mémoire prenait une forme et des couleurs différentes de la suivante et de la précédente et chaque pièce du château répondait à cette ambition d’une mémoire polyvalente, sublime, anachronique et improbable mais totalement vide.

– Demain,ça sera le quatrième jour.
– Tu en envisages combien?
– Pour tout voir ou pour être vide?
– Les deux, mon capitaine. L’un n’ira pas sans l’autre
– Au moins autant.
– Je n’en espérais pas moins.
– Il faudra au moins ça
– Moins serait insultant pour lui et pour toi.
– Par contre, il faudra éviter de remplir les pièces.
– Tu les rempliras enfin avec des trucs qui en valent la peine, ça te changera.
– C’est violent comme changement.
– Si c’était gentil, ça ne serait pas un changement, ça serait une continuité dans le médiocre. Alors sois médiocre, mais tache d’en avoir conscience cette fois et de vivre les choses médiocres en fonction de ça.
– Je vais déjà essayer de trouver à bouffer, on verra plus tard pour vivre des trucs.

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