– Tu sais, parfois je me dis que je n’ai jamais entendu les mots des chansons sucrées, doucereuses, mièvres, tu sais les slows dégoulinants et je me dis que j’aurais surement aimé ça, finalement…
– Tu les as dit toi ces mots là?
– Non, je ne les ai jamais dit et finalement, je me dis que j’aurais adoré ça, en fait, mais putain, c’est pas le sujet ça, c’est pas la question, c’est même pas à sa place, en ce moment, ça… Pfff l’art et la manière de péter un groove…
– Oh vas y, vas y, groove, groove…
– Bah maintenant, c’est le sujet… bah tu vois, moi, j’aurais voulu ces courses effrénées sous la pluie, les cheveux trempés par la sueur et l’ondée, collés, plaqués au visage. Une poursuite avec les pas de la course qui résonnent dans les ruelles sombres d’une ville quelconque, comme dans les films, juste pour pouvoir la rattraper, la retenir en la serrant fort, ma joue collée contre la sienne et ma bouche sur son oreille et lui murmurer tout ce que je n’ai pas dit parce que j’étais trop lâche, trop pudique, trop con sans doute…
Je m’allongeais sur le capot, les yeux perdus dans l’immensité de la nuit, contemplant les étoiles scintillantes et explosant de leurs derniers feux dans le ciel sans nuages. Les mains derrière la tête, les coudes relevés, un petit sourire apaisé sur les lèvres…
– Je voudrais être la robe que tu portes, la pince dans tes cheveux, le bijou que tu porteras même si tu ne le portes pas, ou le parfum posé sur ta peau à ton réveil. Je voudrais rêver de toi comme je n’ai jamais rêvé de toi. Je voudrais revivre tous ces moments où je partais et où je me disais que je ne te reverrais jamais parce que c’est toi qui partiras. Je voudrais être l’eau qui ruisselle sur ton corps quand il pleut ou l’eau qui t’enveloppe dans ton bain. Je m’imagine être les draps de ton lit pour te couvrir de toute ma chaleur et te protéger encore et toujours…
Elle ne bougeait pas. Elle était assise sur le bord du capot, les genoux relevés pour qu’elle puisse y poser ses coudes et sa tête sur ses bras. Ses pieds posés sur le pare choc et les yeux face à elle, encore perdus dans la mer. Ses cheveux flottaient au vent. Ils étaient longs et ils lui giflaient la joue. Elle n’y prêtait pas attention, comme si elle m’écoutait, pour une fois.
– Etre ton café du matin, ton vin blanc du soir parce que je n’en ai jamais assez de toi, parce que tu es le monde où je ne suis jamais allé. Puisque nous ne serons jamais ensemble, je voudrais que nous ne soyons jamais séparés. Je voudrais être le sable de la plage sur laquelle tu marcheras, le miroir qui te regarde quand tu le regardes, le ciel sous lequel tu t’endormiras et puis, je voudrais être la tombe dans laquelle tu finiras. Toi, posée délicatement sur moi jusqu’à la fin des temps, inséparables séparés, ensevelis et éternellement ensemble parce que je n’en ai jamais assez de toi.
Le silence sembla durer des heures. Je n’avais rien à ajouter. J’attendais sans doute un signe venu de quelque part ou de quelqu’un puisqu’elle ne bougeait plus. Je ne voyais que son dos et je me demandais ce que ces paroles avaient bien pu provoquer chez elle, si enfin, j’avais réussi à la toucher, à l’émouvoir, ne serait ce qu’un peu.
Soudain, elle se mit en mouvement, posa ses mains sur le capot et poussa pour sauter et se retrouver debout, devant la voiture. Elle se retourna. Ses yeux s’enfoncèrent dans les miens. Je sentais quelque chose de nouveau, à part, comme si j’avais réussi ma mission.
– Donc, comme ça, elle a un nouveau mec?
Elle partit vers le point d’eau central de l’aire de la nationale, sans se retourner, sans attendre de réponses, sans rien dire. Je la regardais s’éloigner. Ses cheveux flottant toujours au gré des vents et ses pas semblaient ne même pas toucher le sol.