L’expression de sentiments devient un exercice qui, au final, se montre de plus en plus compliqué et, peut être même, totalement déplacé… En effet, dans cette ère du zapping à tout va, les sentiments et émotions fonctionnent à l’avenant. Chaque évolution de la société s’accompagne d’une évolution des mœurs. Le divorce est autorisé et désormais on peut totalement ignorer son ex. Toutes les choses que nous avions aimées chez l’autre deviennent soudain désuètes et même parfois, très souvent même, les qualités se transforment en défauts rédhibitoires. Ce qui nous a séduit chez l’autre n’est plus qu’un vague souvenir qui, au final, suscite dégoût. Déjà, durant la relation, souvent, certains cherchent à changer l’autre et, c’est, en fait, assez incompréhensible. On est séduit par ce qu’est l’autre mais pourtant, on vise à transformer ces points d’accroche, d’accointances. Ce qui nous séduit chez l’autre, c’est l’autre, alors vouloir le changer apparaît paradoxal. Je t’aime mais je veux que tu changes.
Il en va de même en amitié où les déceptions sont plus fréquentes mais tout aussi violentes. Personne n’est parfait évidemment mais quand tu as l’impression de te mettre en retrait pour quelqu’un, de t’oublier, de te comporter comme ce qu’on appelle un ami et que, en retour, tu reçois une trahison ou, en tout cas, ce que tu considères comme tel, la déception n’en est que plus vivace et marquante. Aujourd’hui, on change de partenaire aussi vite que les sites de rencontre le permettent, on change d’amis au grès de la vitesse de diffusion de la fibre. C’est ainsi et il ne s’agit pas de le contester mais simplement de constater que les rapports humains les plus profonds et sincères sont, eux aussi, touchés par le zapping et que cela aussi contribue à la création de cette saudade. On sait que les histoires d’amour finissent mal en général et il en va de même apparemment pour les histoires d’amitié. Le « ami pour toujours » a disparu. Tout devient kleenex et c’est avec une certaine tristesse teintée de nostalgie que tout cela arrive. Ce n’est pas une critique sur un quelconque individu précis (en fait si, mais il ne le saura jamais) mais juste le constat qu’il existe aussi en amitié cette notion d’obsolescence programmée et d’utilité. On sert les intérêts de l’autre et tant que l’on répond à ces critères, on est dans la place mais au moindre écart de conduite et de route, on sort du champ des possibles et des vivants.
C’est lorsque la nuit vient à poindre son nez mutin, que la lumière décroisse et que les songes deviennent solitaires et vagabonds qu’apparaissent les souvenirs et les visages que l’on croyait et même que l’on espérait avoir oubliés. Alors on s’accommode de la présence de ces fantômes et de ces esprits du passé et, en réalité, on ne conserve que peu d’images concrètes de ce qu’était cette relation. Il en est ainsi des hommes et de leur construction mentale, du passé qui, parfois, se heurte au présent. Parce que ça déborde de bons sentiments mais qu’au final ça dégouline de différences, et qu’à force de différences, il y a éloignement naturel. Ni tristesse, ni haine, ni amertume, le simple constat qu’on a vécu et que dans cette vie, on a croisé l’autre, plusieurs, différents, de nombreuses fois et que l’histoire n’est que recommencement parce qu’on ne change pas; on continue.