Laissez venir à moi les petits enfants … les grands aussi

Il restera ces jours où le vent froid venu d’ailleurs cessera de souffler. Des moments où les pierres ravivées et blanchies des églises diront leurs secrets et souvenirs.
Il y aura ces jours où celui qui part ne sera plus prétexte aux larmes mais source de tendres sourires complices. Ces jours où ceux qui s’évitaient, se recroisent dans le fracas des bourdons.

C’était dans une de ces petites villes de province ignorée du reste du monde et cachée au fond d’un improbable nulle part. Toute petite église, d’un tout petit village. Tout était petit comparé à la grandeur de l’émotion qui rassemblait ces gens si différents et si inconnus les uns des autres.
Tout était petit parce que ce n’était plus le lieu qui comptait et que la taille devenait tellement insignifiante, finalement, quand on préférait y croire et se rassurer.
Une petite église, presque champêtre et un cimetière attenant, à l’avenant. Tout était champêtre, même le soleil, parce que, malgré le vent frais, il faisait beau comme dans un dernier espoir d’un impossible.

Sur l’estrade qui servait d’autel ou sur l’autel qui n’était, en fait, qu’une estrade, l’homme, vêtu de sa robe blanche et de son étole violette portée telle une écharpe, se tenait droit, impassible, grave. Les mains jointes, face à lui, en signe de recueillement, les yeux rivés sur l’entrée de la petite église, attendant, peut être, que tous les outragés de l’injustice du jour prennent place dans l’enceinte.
Elle paraissait récemment rénovée et les pierres frappaient par leur nouvelle blancheur mais il y faisait froid et sombre comme si les pierres, elles mêmes, avaient reconnu le moment de solennité et refusaient de protéger ou de réchauffer ce moment.
Il fallait que tout marque ce moment.

Bien que le soleil se rappelât, tout le jour, de sa présence dans les cieux de ce mois de mars finissant, l’heure demeurait sombre, triste, funeste. Le silence se faisait de plus en plus lourd au fil des entrées des larmoyants et de ceux qui luttaient pour retenir ces larmes qui coulaient, déjà, le long de leurs joues, malgré eux. Ce silence rendait assourdissant les pas sur les pierres du sol de l’église. Pas un mot, pas un chuchotement, pas un reniflement, pas un cri, une unique rumeur de consternation ou d’injustice sortie de nulle part et n’allant pas beaucoup plus loin. Chacun cherchant dans le regard d’un voisin, d’une connaissance, d’une ombre, un soutien, une compassion, un murmure qui empêcherait enfin de s’éteindre cette lueur dans un silence trop glaçant. Une voix s’éleva et brisa le silence de ce premier jour du monde qui n’en finissait pas.

Il fallait que cette souffrance cesse, que le fardeau s’allège d’une présence trop forte et trop grande. Comme ces jours de marché qui donnent vie aux bourgades dépeuplées, comme tous ces bruits qui rappellent qu’il y avait le souffle de vie et qu’il est fragile ce souffle court, sourd, las, elle donnait tout corps à ce qu’était l’humain. C’est au dessus des cathédrales que le bon dieu prendra soin de son âme puisque le monde d’aujourd’hui n’a pas su prolonger les jours.
Elle aura connu peu de joies mais elles furent intense et le froid qui la prenait même les jours d’été, c’est le bon dieu qui lui envoyait. Elle était ce que chacun devrait être finalement, la dévotion et le courage donnés à ce que dieu aurait créé.
Ce fut la rencontre de trop dans cette vie sans lendemains heureux, dans cette vie aux jours précaires. Alors, vivre chaque jour comme s’il était le dernier même si il n’y a rien à faire et même si l’on ne fait rien.
L’amour qu’elle donnait autour de ses pas comme le sourire las qu’elle portait depuis l’annonce des fins de route, c’est la seule force qui lui restait.
Les yeux emplis de larmes qu’elle portait sur ce qu’elle laissait comme force de vie au monde, ce sont les dernières lumières de son feu qu’elle envoyait dans les foyers de cheminées fraîchement ramonées.
Et puis les jours passaient de plus en plus vite, et les forces déclinaient à chaque heure davantage. Il était l’heure de quitter, de lâcher la rampe et de partir dans un dernier salut, dans un dernier sursaut. Les mots qu’elle aurait voulu dire, c’est notre seigneur qui les dira. Les vies qu’elle voulait sauver, c’est notre seigneur qui en prendra soin. Il pourvoira à cette route brisée par l’injustice des maladies et des souffrances du corps que l’âme ne peut soulager.
La honte, la faiblesse, la souffrance deviennent les forces que chacun doit endosser et toutes ces larmes qu’il nous faut verser pour célébrer l’apothéose de cette âme pure, n’oublions jamais, que c’est notre seigneur qui les a créées.
Les larmes, que tous ici, nous versons déjà et verserons encore, c’est notre père, qui est aux cieux, qui s’en est allé les chercher dans les rivières, les fleuves, les mers, les lacs, les océans de la création et qui en hommage à toute la bonté qu’elle avait donnée à placer dans nos yeux cachés dans nos manches.
Le deuil que nous allons porter, c’est la vie que notre seigneur nous a prêtée. La tristesse qui emplit désormais nos cœurs, notre père l’y a placée. Le souvenir de son rire sonore dans nos esprits embrumés par les larmes, c’est notre créateur qui va le transcender. »

Les yeux cherchant le ciel et priant que les nuages arrivent enfin, que la pluie vienne car ce moment ne saurait rester sous les feux d’un soleil de printemps. Bon dieu, puisque tout le monde t’appelle en cet instant, il serait temps de signaler ton existence et de faire craquer cette averse et ces larmes célestes qu’exige cette heure.

Il ne plut pas pendant trois jours.

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