« Et comme dans les romans moisis d’amour, le téléphone sonne toujours quand tu t’y attends pas et quand tu peux pas répondre. Et comme tu as un homme comme partenaire dans cette histoire, évidemment, ça fonctionne pas. Cet abruti tombe sur un répondeur, il ne lui vient pas à l’idée de laisser un message. Oh bah non! ça serait trop simple, trop facile, trop convenu. Connard! »
Et je me souviens de l’odeur du jasmin fraîchement coupé et des montagnes inaccessibles…. et il vit que les mains qui construisaient, pouvaient aussi détruire.
« 9 jours, il avait fallu 9 jours à cet imbécile pour se souvenir de mon existence, alors que je ne pensais qu’à lui. La première fois de ma vie où le désir était plus fort que toutes les conventions éducatives, familiales, sociales ou je ne sais quoi, toutes ces saloperies qu’on nous fourre dans le crâne le plus tôt possible, histoire d’être peinard. Ce mec avait, en quelques minutes, provoqué chez moi des pulsions que je ne connaissais pas et que je ne maîtrisais pas. Jusque là, il n’y avait rien eu d’animal dans ma vie. Il n’y avait eu que de la relation propre, sage, fleur bleue. Ce mec m’avait fait connaitre, en une soirée, le sexe, le vrai, le bestial. Et j’en voulais encore. »
Pourquoi fallait-il que ce genre de confidences me tombent dessus? Moi qui avais une sexualité pitoyable et tarifée, je me retrouvais à écouter les parties de jambes en l’air ultra chaude d’une nana qui étais ma collègue et qui ne m’excitait pas. Heureusement, j’avais ces phrases manuscrites qui hantaient ma mémoire et flottaient sur la photo de Géraldine. Je ne les avais jamais comprises et je m’étais fait une raison. Le mystère que cette fille, que je ne connaissais pas, avait laissé en moi me suivrait éternellement. Je n’aurais jamais ma réponse à cause d’un métro, et d’un autre côté, sans ce métro la question ne se serait jamais posée.
« Alors forcément, quand il m’a proposé de prendre un verre, la question ne se posait pas. J’étais toute rouge au téléphone, balbutiant des oui et des monosyllabes inaudibles. Il se passait de l’inconnu, de l’imprévu et de l’imprévisible dans ma vie, enfin. Un truc que tu souhaites vivre toute ta vie mais que tu n’es jamais prête à accueillir. Le prince charmant sans cheval, ni bas nylon blancs ridicules. Juste le truc. Forcément, le verre à La Fourmi, sur la place Pigalle, enfin à côté, enfin tu vois? Et devant son Perrier rondelle n’avoir en tête qu’une seule et unique pensée, vouloir recommencer. dans toutes les chiottes du monde, si c’est comme ça que ça doit se vivre, mais recommencer, encore et encore. Une pulsion animale, purement physique, exclusivement sexuelle. «
Cela aurait dû être une histoire anodine. Le suicide d’une jeune paumée en se jetant sous le métro… Il n’y avait là rien d’exceptionnel. C’était même tristement banal, à cette époque, à Paris. La crise, qui durait depuis 40 ans, frappait de plus en plus durement les faibles. Les fins de mois commençaient, pour beaucoup, le mois précédent. La société prenait un virage inquiétant et tous les personnels étaient conscients des tensions sociales liées à ce régime de survie. Suicides, vols, viols, cambriolages, agressions ou même chasse à l’homme devenaient le quotidien des forces de police. Une société qui partait à vau l’eau, en perte de repères et de fondations; l’échec d’une civilisation. A chaque fois, un vent d’espoir soufflait mais très vite, le soufflet s’effondrait, s’affaissait, s’écrasait. Les gens souffraient, les vrais gens de la vraie vie. Les nous inaudibles et invisibles. Certains supportaient ce fardeau mieux que d’autres. Et justement, ces autres comme Géraldine explosaient en plein vol en laissant des bouts d’eux collés sur tous les murs.