Il y avait ce souvenir qu’elle me racontait et que j’essayais d’écouter. Vraiment, j’essayais. Si je n’avais pas eu cette obsession, à ce moment là, autour de l’image de Géraldine, je crois même que j’aurais réagi lorsqu’elle commença à vouloir exprimer des détails que je n’avais pas envie d’entendre finalement mais je savais que cela n’aurait servi à rien de lui demander de se taire ou de montrer une mine renfrognée. Elle devait vider son sac. Je ne sais pas pourquoi mais elle le devait.
« Tu vois, je t’ai dit que cette voix m’avait susurré: ‘Il n’y a rien, ici, de plus délicieux ou désirable que vous’, dans le creux de l’oreille et que j’avais senti monter en moi un mépris quasi dangereux vis à vis de cette ringardise crasse. Pourtant, dès que je me suis retournée, j’ai su que tout allait changer. Il était là, face à moi, ses cheveux tombant en boucle frisée sur ses épaules. Il y avait un côté féminin, précieux dans ce visage et sa forme osseuse et allongée. Son regard sombre me pénétrait littéralement, vraiment l’impression d’être transpercée. Il ne lâchait pas sa proie du regard, même s’il savait qu’elle lui appartenait déjà. Il resta ses yeux plongés dans les miens un moment qui sembla une éternité, mais une éternité douce et jolie. Pas une éternité dans la mine à pousser des chariots. Un truc chaud, doux, agréable. Je ne sais plus s’il y eut des mots échangés. Dans mon souvenir, ce moment d’éternité fut silencieux et les yeux dans les yeux, tous les mots se prononçaient en silence et de manière sourde. Aucun souvenir de ce qui s’était dit à cet instant, si ce n’est qu’il m’invita à fumer une cigarette sur le trottoir, puisqu’on ne fume plus en intérieur depuis longtemps déjà. Il pleuvait. Il faisait froid. Je ne fumais pas. Il me prit la main et cette main chaude sur la mienne ne fit qu’accélérer les battements de mon cœur et oublier les contraintes et les excuses que j’aurais pu trouver pour ne pas y aller. Une sorte d’éblouissement dans les yeux à travers cette main. Son pouce passait sur le dos de ma main et envoyait, à travers tout mon corps, des décharges électriques de plus en plus violentes. La traversée de la grande salle d’exposition, ma main dans la sienne, fut le premier instant magique d’une relation qui partait pour plusieurs années, mais, à cet instant, la seule chose qui comptait pour moi, c’était ma main dans la sienne. Personne ne nous regardait ou tout le monde nous voyait. J’étais à la fois, transportée par la magie du moment, et amnésique aux alentours et au monde autour. Au milieu de cette lumière sur exposée des expos contemporaines, on traversait à grands pas les groupes de gens endimanchés et qui parlent pointu, les verres de breuvage pétillant dans une main et les petits fours multicolores dans l’autre. Je me prenais pour la star du moment et du lieu alors que j’ai bien conscience que tout le monde s’en foutait de notre délire d’adolescents attardés. Nous traversions morts de rire un monde de bienséance auquel, finalement, nous n’appartenions pas. Tout le monde nous voyait, personne ne nous regardait. Il ouvrit la porte et me laissa passer. Je savais qu’il en profitait pour mater mon cul et j’avoue que cette sensation me plaisait. Je sentais déjà son désir et j’aimais savoir que je lui faisais cet effet. Il me voulait et ça tombait bien, je le voulais aussi. »