« Au début, je le cherchais partout dans la foule. Attraper son regard et s’assurer que lui aussi, il m’avait remarquée. Son apparition avait été quasi mystique pour moi. De la lumière dans la lumière. Et c’était incompréhensible mais il fallait que je me brûle, que je me confronte à cette lumière. Attirée, aimantée, par une silhouette inconnue, je réclamais physiquement un contact, une accroche. J’avais beau le chercher partout, il avait déjà disparu. Plus vite encore que son apparition, sa disparition demeurait inexpliquée pour moi. Je n’osais pas demander à mes compagnons de soirée s’ils avaient vu la même chose que moi et, tandis que je commençais à croire à un mirage, et que je piochais allègrement dans les canapés et autres mignardises acidulées, une voix me souffla dans l’oreille: il n’y a rien, ici, de plus délicieux ou désirable que vous. Sans me retourner, j’hésitais entre l’explosion de rire, le souffle de saturation et l’indifférence à peine polie. L’idée même de me retourner me saoulait. Je voulais revoir l’apparition et pas être collée par un bellâtre quelconque ou pire encore, une racaille perdue dans ce quartier et qui se dit qu’il va enfin réussir à tirer un coup. En temps normal, cette pensée me dégoûtait plus qu’elle ne pouvait m’exciter ou m’intéresser mais, à ce moment précis, elle eut le don de m’exaspérer. Sans doute les relents du féminisme obligatoire de l’époque qui appelle à la révolte et à l’indignation. »
j’hochais ostensiblement du chef pour signaler d’une part que je l’écoutais, ou tout du moins que je faisais efficacement semblant de l’écouter et d’autre part, parce que le peu que j’avais entendu et qui se déclinait comme une critique de l’euphorie du moment sur la défense permanente, ne pouvait que me réjouir intérieurement.
« Et là, j’avais perdu tous mes moyens. Je comprenais que je ne pourrais résister à rien et que la moindre de ses propositions seraient acceptées, validées et approuvées. Je ne trouvais pas la force de lui demander quoique ce soit. Je ne pouvais que sourire et acquiescer à tout. Quand je compris consciemment où je me trouvais, j’étais sur le trottoir face à la galerie, un verre de je ne sais quoi à la main, une cigarette dans l’autre alors que je n’avais jamais fumé mais comme il fumait et que je ne voulais pas le lâcher, je m’y suis mise à ce moment là. Des envies de tousser, de vomir à cause de cette nouveauté dans ma vie mais il me fallait garder bonne figure. Je voulais lui plaire, trouver quelque chose d’intelligent à dire, à répondre. J’étais enivrée de paroles sur l’art, sur Paris, sur les femmes. Tout me plaisait, tout résonnait. Il était ce que j’attendais comme exemple même de ce qu’est l’homme, il représentait ce soir là, sur ce trottoir, sous le crachin parisien, dans cette obscurité seulement zébrée par les lumières blafardes des voitures qui remontaient la rue, le mâle. Forcément, moi, pauvre petite chose fragile, je ne pouvais que ressentir l’envie de me blottir sur ces bras forts, sur ce poitrail que j’imaginais large et velu, de renifler ce parfum musqué qui ne venait vers moi que par effluves trop rares, afin de me protéger du vent et de la pluie de fin d’automne. «