J’ai fait avec les moyens du bord de la falaise… 2… 15

 

« Je vais te raconter un truc que j’ai jamais dit à personne ».

À chaque fois que j’entendais ce type d’introduction, j’étais pris d’une ambivalence des sentiments. A la fois, flatté qu’on se décide à me faire confiance alors que je ne me faisais pas, personnellement, confiance à moi-même et gêné de cette confiance, et gonflé qu’on vienne perturber ma quiétude et dégoûté d’être obligé d’écouter. Gonflé parce que je ne demande rien à personne alors venir me raconter sa vie, en fait, ça me perturbe. Je ne raconte ma vie à personne et je ne comprends pas ce besoin de s’épancher auprès d’une personne et encore plus quand cette personne, c’est moi. Et oui, ça me dégoûte d’être obligé d’écouter parce que, soyons clairs, je m’en fous… La vie des gens ne peut pas m’intéresser puisque la mienne ne m’intéresse déjà pas. Dès que j’entends ce type de propositions, je sais que les conventions sociales vont m’obliger à entrer dans un instant de souffrance. Et bizarrement, un peu comme tout le monde finalement, je n’aime pas particulièrement souffrir. Je sais, c’est lâche de ma part. Je devais donc décrocher mon regard de cette Géraldine inconnue, de cette pluie parisienne pour plonger mes yeux dans les yeux d’Aline et attendre le récit de son histoire, en montrant que je suis passionné par son propos alors qu’intérieurement, je vivrais d’autres choses, dans d’autres endroits, à d’autres moments. Forcément, écouter ne faisait que rarement partie des alternatives que je m’autorisais, avoir un air inspiré et absorbé faisait seulement partie de la panoplie du comédien de vie que j’avais endossée voilà 15 ans, au croisement de deux rues tristes, d’une ville terne de banlieue nord. Faire croire à l’autre que, momentanément, il est la priorité de mon existence. Je m’efforçais en pareilles circonstances d’imaginer des îles perdues au bout du monde, ou des femmes follement éprises de moi ou, le plus souvent, de manière prosaïque, à ce que j’allais manger le soir ou à passer acheter une bouteille pour ne pas finir trop seul la soirée. Je tournai la tête vers Aline. Je sentis, sans doute à tort, qu’elle voulait parler et que je n’étais qu’un prétexte à son déballage privé. Quelque chose lui pesait sur le cœur et elle espérait me refiler le bébé ou, au moins, se décharger quelque peu de cette douleur. La douceur de ses traits m’incita à accueillir cette demande. Je savais que c’était une connerie mais je n’était plus à ça près. Elle se sentit suffisamment en confiance pour s’autoriser à reprendre la parole qu’elle n’avait, en réalité, jamais lâchée.

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