J’ai fait avec les moyens du bord de la falaise 10…23

 

« Est-ce que tu crois que tu as besoin de quelqu’un ? On a tous besoin de quelqu’un, tu n’es pas le seul, même toi, tu as besoin de quelqu’un… Quand tu rentres seule chez toi, et que tu commences à te parler toute seule, personne ne te prépare à ça, personne ne te dit que ça va être comme ça. Tu regardes le monde seule, alors que tu le voyais à deux… Tu te dis que tu aurais dû partir plus loin, plus vite. Il n’y a que regrets parce que tu sais que tu as raté le moment où tu aurais pu basculer. Tu ne deviens que l’ombre de toi-même, le copié collé de ce que tu ne voulais pas être, le succédané de toi-même, remarque je dis ça, je crois que c’est le sens du mot mais je ne suis même pas sûre. Alors, tu passes par tous les excès pour t’oublier, tu bois, tu fumes, tu baises et tu recommences parce que, au moins, là, tu oublies, mais tu ne te jettes pas. Tu es à vie sur le bord de cette falaise mais tu ne te jettes pas. Tu vois les vagues taper le pied de ce mur mais tu ne te jettes pas et tu commences à partir dans ta tête. Tu sais que tu vas trouver les ressources pour repartir, pour exister, pour qu’il ne t’oublie jamais, que chacun de ses pas soit marqué de ton empreinte, que ton parfum soit l’odeur de l’air qui l’étouffe. Être partout autour de lui, en lui, et ne lui laisser aucune chance de vivre sans toi, hors de toi. Et tu pleures à nouveau et tu maudis cette nuit, tout en haut de la falaise, où tu te croyais protégée, dans ses bras, couvée, choyée, lovée et, naïvement tu crois que tu peux te laisser aller. Tu restes sans défense parce que tu es à l’endroit où tu sais que tu dois être, avec la personne qui doit être avec toi, à tes côtés. Et tu t’endors dans ce vieux plaid et tu sais que tu seras protégée. Tu sais qu’en haut de cette falaise, tu ne seras jamais seule parce qu’il est là, parce que tout ce qui compte est là et te retient. Et puis, tu te réveilles et tu es seule. Et soudain, tu es au milieu de nulle part, et personne pour te comprendre ou te reconnaître. Tu es seule parce que ce que tu croyais éternel est parti. Tu ne sais pas où, tu ne sais pas comment, ni pourquoi. Tu appelles, tu cherches partout du regard, même vers l’Amérique, au-delà de l’Angleterre. La faible lumière du jour t’empêche de voir jusqu’au bout du monde, la pluie des autres jours et des jours suivants tombe, maintenant, sur toi mais elle n’existe pas. C’était l’endroit où nous devions nous aimer, c’était là que se trouvait l’issue, en haut de cette falaise. Et quand tu comprends que c’est seulement toi, et désormais toi seule, tu te trompes, tu te mens mais j’ai fait avec les moyens du bord. J’étais seule au bord de la falaise et j’ai essayé de me reconstruire. Au milieu de nulle part et de la nuit, tu t’aperçois que tu n’es plus rien. L’autre est parti sans toi, ailleurs. Tu comprends. Tu cours au bord de la falaise, les yeux encore emplis de sommeil. Tu espères voir des traces de lui et, en même temps, tu ne veux pas voir ces traces, en bas de la falaise des suicidés, dans cette fin du monde balayée par les vents contraires, les pluies tristes et les vagues violentes. Tu veux croire à un mauvais rêve, que tu dors encore dans ses bras et qu’il va réapparaître. Tu sais déjà que tu ne reverras plus les jasmins de la cour des miracles. Désormais, tu vas devoir survivre en laissant la plus belle partie de toi en haut de la falaise de la côte d’albâtre et tu sais que tu vas devenir vieille et délaissée parce que tout est là bas et que seuls, vous deux, vous connaissez le lieu de l’abandon, de la fin du monde. Et pourtant, tu ne te jettes pas. Tu te prends à rêver que tu flottes dans les airs, que tu as trouvé le courage de faire le pas de trop, et que tu flottes. Mais tu ne t’es pas tuée.

Tu ne sais absolument pas de quoi je parle là, tu ne comprends rien à ce que je te raconte, hein ? »

Laisser un commentaire