J’ai fait avec les moyens du bord de la falaise… 1… 14

« Tu as conscience, quand même, qu’elle ne reviendra jamais? ». C’était sorti comme ça, sans que je ne m’y attende et sans que je ne demande rien.

« De quoi tu parles? », parce que même si j’avais parfaitement compris où elle voulait en venir, je n’avais pas l’intention de lui faire le plaisir de croire qu’elle m’avait percé à jour et qu’elle tenait là une faille dans mon armure en fer forgé et patinée par des années de coups violents sur le poitrail.

« Je sais bien que comme ça, de loin, tout le monde me considère comme une imbécile. Je pense que ça vient de mon statut de femme, de flic, de jeune, de blonde… »

« T’es pas blonde ». Ses yeux se figèrent dans les miens et restèrent plantés avec un air de dire que j’étais épuisant à ne pas comprendre les évidences. Et moi aussi, je m’épuisais quand je sortais ce type de phrases, vides, creuses, totalement à côté de la plaque.

« Tu sais, c’est pas intelligent de faire semblant d’être con ». Il valait mieux que je ferme ma gueule. Je jetai un coup d’œil à travers la baie vitrée du bistrot dans lequel nous étions installés depuis une heure, à rassembler les divers éléments de cette histoire, qui n’en était même plus une tant elle nous dépassait désormais. Les six tasses de café posées devant nous ne fumaient plus depuis longtemps. Je regardai les longues traînées de pluie couler le long des carreaux et les gens, dans la rue, courant pour se protéger. Et encore une fois, comme souvent lorsque je suis confronté à ce type d’images, je me demande pourquoi les gens courent, se protègent quand il pleut. Ils essaient d’éviter quoi? La pluie? En se précipitant pour prendre une douche? Et en me disant cela, je coupe ma pensée en me répondant sur un ton accusateur que j’étais bien un connard d’avoir ce type de pensées puisque j’étais le premier à courir dès qu’il pleuvait et que même, le plus souvent, je me précipitais chez moi pour prendre une douche. Je nettoyais l’eau de pluie qui tombait sur moi en m’aspergeant d’eau. Le paradoxe. Alors, j’essayais de me rassurer, en me disant que l’eau du robinet était pure, traitée et filtrée, alors que l’eau de pluie, elle, descendait directement des nuages de pollution. Je n’arrivais même pas à me convaincre moi même. Je n’en avais pas envie en réalité. J’aimais aussi me dire que, parfois, j’étais aussi con que les autres, et même quelques fois, encore davantage, ça me donnait toujours l’impression de faire encore partie de cet univers. Les imperméables étaient de sortie, tout comme les parapluies. Les rues et les caniveaux dégorgeaient l’eau noirâtre des trottoirs parisiens. Nous n’avions pas véritablement avancé mais nous avions tout mis à plat. C’était déjà ça et c’était toujours autant le bordel. Mes yeux s’arrêtèrent sur une jeune femme, emmitouflée dans un imper gris, des plus classiques et protégée par un parapluie rouge. Je ne pouvais voir son visage mais je m’imaginais que c’était elle. Sans doute parce qu’Aline venait de m’en parler. En réalité, je ne pensais jamais à elle mais elle était toujours présente, m’accompagnant à chaque pas et dans chaque pensée, comme une présence permanence mais oubliée. Une sorte de seconde peau. Je sentais le regard d’Aline sur moi, et cette attente que j’interprétai comme la volonté que je lui raconte Géraldine. Mais jamais je ne lui raconterai, ni à elle ni à qui que ce soit d’autre. En tout cas, pas maintenant, pas déjà.

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